Bruxelles, Paris, Berlin. Trois capitales, une même ambiance feutrée : celle d’une Europe gouvernée par des chiffres, des normes et des algorithmes. Derrière les façades lisses des institutions, on parle stabilité monétaire, transition numérique, intelligence artificielle et compétitivité verte. Mais plus personne ne parle du boulanger en fin de mois, de l’infirmière contractuelle, ou du livreur à vélo qui rêve vaguement d’un syndicat disparu.
Sommes-nous encore en démocratie, ou déjà dans une gouvernance technocratique post-sociale ?
Une Europe où les bulletins de vote existent encore, mais où les choix réels semblent dictés ailleurs : par des lobbys, des modèles de croissance, des logiciels de gestion, des réunions à huis clos avec des banques. Une Europe qui organise le suffrage mais rend le pouvoir insaisissable.
L’illusion du progrès partagé
Car la technocratie européenne s’habille de bonnes intentions. Elle parle d’innovation, d’écologie, d’inclusion numérique. Elle finance des formations pour “réorienter les compétences”, des applis pour “accéder à l’aide sociale plus facilement”, et des forums citoyens où l’on débat de l’avenir en panels multilingues — pendant que les loyers explosent et que les supermarchés discount ne désemplissent pas.
Dans les classes populaires, on ne croit plus à cette promesse d’un progrès pour tous. On vit la fracture numérique, on subit l’ubérisation, on se méfie des mots creux. Et surtout, on ne vote plus. La démocratie représentative semble devenue une mise en scène — polie, calibrée, mais vidée de toute tension sociale véritable.
Une aliénation douce, mais redoutable
Ce qui rend cette oppression si insidieuse, c’est sa douceur. Elle ne s’impose pas par la force, mais par la logique, le tableau Excel, le “bon sens économique”. Elle ne bâillonne pas les luttes sociales, elle les absorbe, les subventionne parfois, les neutralise. On ne fait plus grève, on lance une pétition sur Change.org. On ne manifeste plus, on participe à un hackathon sur l’engagement citoyen.
Les élites technocratiques européennes, souvent issues des mêmes grandes écoles ou universités transnationales, parlent entre elles une langue que le reste de la population ne comprend plus. Le capitalisme numérique, lui, fait le reste : il transforme la fatigue en données, le besoin en service, la révolte en post Instagram.
Vers une démocratie sans peuple ?
La question qui surgit, embarrassante pour les classes cultivées et les éditorialistes urbains, est la suivante :
Peut-on encore parler de démocratie, si le peuple n’a plus les moyens, ni les mots, ni l’espace pour se faire entendre ?
L’Europe de demain se joue là : dans ce décalage croissant entre gouvernance technocratique et vécu social. Entre une démocratie formelle et une aliénation réelle.
Et tant que les classes défavorisées ne retrouveront ni représentation authentique, ni pouvoir réel, elles resteront invisibles — ou dangereusement silencieuses.
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