Bucarest — Le visage est discret, la voix posée, les formules précises. Et pourtant, c’est bien une onde de choc politique que vient de provoquer la victoire de Nicușor Dan à la présidence de la Roumanie. Loin des populismes tapageurs et des machines de parti classiques, ce mathématicien de formation, activiste devenu homme d’État, incarne un tournant dans la vie politique roumaine et un signal fort pour l’Europe. Dans un contexte continental miné par la montée des extrêmes et la désillusion démocratique, la percée d’un président centriste, pro-européen, sobre et réformateur fait figure d’exception bienvenue.
Un parcours singulier, entre rigueur et engagement civique
Né en 1969 dans la ville de Făgăraș, Nicușor Dan n’a rien du politicien professionnel. Ancien élève de l’École normale supérieure à Paris, docteur en mathématiques, il retourne dans sa Roumanie natale dans les années 2000, non pour embrasser la carrière politique, mais pour défendre la ville de Bucarest contre le chaos architectural et la corruption municipale. De ce combat naîtra l’association Sauvez Bucarest, puis l’Union Sauvez la Roumanie (USR), une formation politique qui attire rapidement une jeunesse urbaine désenchantée, avide de probité et d’efficacité.
Élu maire de Bucarest en 2020, il s’y distingue par une gestion rigoureuse, parfois trop rigide au goût des partis traditionnels, mais applaudie pour son intégrité et sa transparence. Sa candidature à la présidentielle, en 2025, se fait sans l’appui d’un grand parti, mais avec une base citoyenne solide. Il l’emporte avec plus de 53 % des voix face à George Simion, candidat d’extrême droite et figure vocale du souverainisme roumain.
Une présidence pro-européenne, rationnelle et assumée
Le message de Nicușor Dan est clair : la Roumanie doit choisir l’Europe non comme horizon flou, mais comme projet concret. État de droit, transparence, lutte contre la corruption, investissements dans l’éducation et la transition énergétique : son programme tranche par sa rationalité, dans un environnement politique souvent dominé par le spectaculaire.
Il parle peu, mais ses mots sont pesés. Le nouveau président ne cherche ni l’emphase, ni l’effet de tribune. Son modèle est la réforme silencieuse, presque cartésienne, dans un pays encore marqué par les soubresauts post-communistes, les scandales à répétition et une défiance chronique envers les élites.
Un rempart modéré contre l’extrême droite
En battant George Simion, leader de l’AUR (Alliance pour l’Union des Roumains), Nicușor Dan a freiné la progression d’une droite radicale qui surfait sur les fractures sociales, l’antisémitisme résiduel et les nostalgies nationalistes. À l’inverse, son électorat est jeune, urbain, éduqué — mais aussi modeste : il rassemble ceux qui veulent une Europe du réel, pas une utopie technocratique ni un fantasme identitaire.
Les chancelleries européennes ont salué sa victoire avec un soulagement discret mais sincère. La Roumanie, trop souvent à la marge du projet européen, retrouve avec lui un visage fiable, stable, ouvert aux réformes mais soucieux de souveraineté maîtrisée.
Un mandat sous haute vigilance
La tâche ne sera pas simple. Le Parlement roumain reste fracturé. Les alliances y sont fragiles, et l’AUR, malgré sa défaite, conserve une base militante active. Nicușor Dan devra composer, négocier, convaincre — mais aussi incarner, pour une population lasse des promesses vaines, une autorité sans arrogance.
Son élection ne résout pas tout. Mais elle reconfigure le paysage. Elle montre qu’en 2025, en Europe, il est encore possible de gagner une élection sans crier, sans diviser, sans mentir.
Et cela, à l’heure du vacarme politique global, relève déjà d’un petit miracle démocratique