Introduction: le rapprochement entre l’Europe et l’Asie centrale
Cette année, il y a un grand rapprochement entre l’Europe et l’Asie centrale. En effet, l’intérêt pour cette région du monde croît. La visite de Charles Michel, président du Conseil européen, au Kazakhstan et en Ouzbékistan, Emmanuel Macron, le président français, qui a accueilli les 29 et 30 novembre son homologue, le président kazakh Tokayev, au palais de l’Élysée, le sommet Union européenne-Asie centrale qui s’est tenu à Astana le 27 octobre 2022, le projet Global Gateway entre l’Asie centrale et l’Union européenne, etc. Il convient donc de se poser la question suivante : comment expliquer l’intérêt croissant de l’Europe pour l’Asie centrale et spécifiquement pour le Kazakhstan ?
Les enjeux géopolitiques et économiques
Face aux crises géopolitiques, comme celle entre la Russie et l’Ukraine, les pays tentent d’établir d’autres accords afin de réduire leur dépendance à la Russie et leur vulnérabilité aux crises géopolitiques et économiques. De plus, cette décennie, la planète fait face à un changement des puissances économiques. Nous ne sommes plus confrontés à une Terre dirigée par quelques pôles de pouvoir. Au contraire, de nouveaux pays deviennent des puissances et commencent à peser sur la scène internationale, y compris le Kazakhstan. Certainement, la France et l’Union européenne en général tentent d’augmenter les accords bilatéraux avec ce pays, et cela va s’intensifier vers la fin de 2022. Essayons de comprendre l’intérêt croissant pour ce pays.
La position stratégique du Kazakhstan
Le Kazakhstan, une ancienne république soviétique, est un pays d’Asie centrale, au sud de la Russie, à l’ouest de la Chine et au nord de l’Ouzbékistan. C’est le 9ème plus grand pays du monde en termes de superficie. Ce pays a une position très stratégique car il est situé au carrefour des grandes puissances mondiales. Comme mentionné ci-dessus, la Russie est au nord, il est sur la route de la soie reliant la Chine à l’Europe et reliant l’Inde à la Russie. Ce n’est pas pour rien que le programme franco-allemand ARTE a réalisé un programme intitulé Asie centrale : à la croisée des mondes. En termes de position stratégique, le Kazakhstan a une place capitale. C’est le seul pays de la région qui borde à la fois la Russie (7600 km de frontières communes) et la Chine (ARTE). Sa position stratégique attire de grandes puissances comme la Chine, la Russie, la Turquie mais aussi l’Union européenne. Cependant, ce n’est pas seulement sa position géographique qui attire les autres puissances.
Les accords économiques en expansion
D’un point de vue économique, les accords s’intensifient dans les domaines de l’énergie, du transport et peut-être des infrastructures, étant donné que le Kazakhstan entend jouer un rôle croissant dans le flux des marchandises entre l’Europe et la Chine. À cet égard, Konopelko, A. (2018) écrit : « En tant que principal partenaire commercial et investisseur étranger au Kazakhstan, [l’UE] tente de renforcer les relations bilatérales et de revoir sa politique précédente envers le Kazakhstan et la région post-soviétique d’Asie centrale (la région post-soviétique d’Asie centrale regroupe cinq anciennes républiques soviétiques : le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan). » Kassenova (2016) note que « Adoptée en 2007, la stratégie de l’Union européenne (UE) pour l’Asie centrale a été saluée comme étant le premier document politique à définir des intérêts communs et à énumérer les domaines prioritaires de coopération. Elle a introduit de nouveaux mécanismes et a aidé à améliorer les relations et à accroître la visibilité de l’UE dans la région. Sans objectifs clairs et moyens de les atteindre, elle n’était pas une stratégie au sens conventionnel du terme, mais elle a servi à signaler l’intérêt particulier de l’UE pour l’Asie centrale et à formuler l’agenda de son engagement. »
Coopération avec l’UE : une opportunité stratégique
Les pays d’Asie centrale, et le Kazakhstan en particulier, sont idéaux pour la coopération avec l’UE, car cette région voisine partage une histoire commune avec l’Europe et a une longue tradition d’européanisation (Kassenova, 2016). Kassenova (2016) précise que « le Kazakhstan a déjà été désigné comme un partenaire spécial de l’UE dans la région ». D’après Kassenova (2016), le Kazakhstan est le pays qui a le plus fort penchant pour l’Europe, comme en témoignent le programme d’État « Path to Europe », l’accord de partenariat et de coopération (APC) renforcé qui a été négocié et le fait que le Kazakhstan est le seul État d’Asie centrale à préparer un document officieux sur la mise à jour de la stratégie de l’UE pour l’Asie centrale. L’UE et le Kazakhstan ont des intérêts communs essentiels. Outre l’interdépendance économique, ils se trouvent tous deux dans une situation similaire dans leurs relations avec la Russie : ils ont le sentiment d’être liés et culturellement proches de la Russie, mais ne peuvent accepter le révisionnisme actuel de Moscou. Ces intérêts communs créent des opportunités de partenariat géopolitique et la possibilité de trouver des moyens plus intelligents de sortir de la crise. L’une de ces possibilités est liée au projet d’intégration économique eurasiatique. Le Kazakhstan est le seul membre de l’Union économique eurasiatique (UEE) qui n’est pas un client de la Russie, ce qui confère de la crédibilité au projet. L’idée défendue par les décideurs politiques allemands d’entamer des négociations entre l’UE et l’UEE peut contribuer à créer une certaine marge de manœuvre pour le Kazakhstan, bien que le fait de renforcer l’efficacité apparente des politiques agressives de la Russie entraîne des inconvénients qui doivent être sérieusement pris en compte.
La visite du président kazakh en France
Certainement, le président kazakh Kassym-Jomart Tokayev a visité Paris les mardi 29 et mercredi 30 novembre pour renforcer les liens entre la France et ce pays d’Asie centrale, une région hautement stratégique que Paris et l’Europe ne veulent pas laisser à l’influence russe, chinoise, turque ou américaine. La visite « aura un objectif très politique et stratégique », dit l’Élysée. Il s’agit de « consolider notre relation, d’amplifier notre dialogue dans un contexte difficile aussi pour les pays d’Asie centrale », expliquent-ils. De plus, cette visite intervient moins d’une semaine après celle d’un autre chef d’État de la région, le président ouzbek Shavkat Mirzioev (Euractiv). Le vice-ministre kazakh des Affaires étrangères, Roman Vasilenko, a déclaré : « Il n’est pas question pour nous de nous éloigner de la Russie, mais en même temps nous voulons développer nos relations avec l’Occident » (Barluet, A. 2022, lefigaro.fr). À Paris, « nous attendons la signature de plusieurs accords commerciaux », selon la source kazakhe, citant un accord pour le développement de l’usine de locomotives d’Alstom à Astana, ou un autre pour une installation photovoltaïque dans le sud du pays. Ainsi, il est clair qu’il y a un intérêt croissant de la part de l’Union européenne pour le Kazakhstan et l’Asie centrale en général. En résumé, lors de la rencontre entre Macron et Tokayev, les deux présidents ont exprimé leur volonté de continuer à coopérer étroitement dans la mise en œuvre de l’accord de partenariat et de coopération renforcé entre la République du Kazakhstan et l’Union européenne. À cet égard, ils ont salué la tenue du premier sommet Union européenne-Asie centrale à Astana le 27 octobre 2022.
Les richesses naturelles du Kazakhstan
Partout, on peut lire que l’Asie centrale est une région convoitée. En effet, la chaîne de télévision française France 24 a réalisé un programme intitulé : « L’Asie centrale, une région si convoitée ». Lors de son intervention sur France 24, Michael Levystone, spécialiste de l’Asie centrale, a déclaré que « le Kazakhstan possède d’énormes ressources naturelles qui ne demandent qu’à être exploitées. » Il ajoute que « le Kazakhstan, depuis 1994, mène une politique de diplomatie à multiples facettes pour rééquilibrer les partenariats internationaux, excluant la Russie et la Chine. » N’oublions pas que le Kazakhstan est le principal partenaire économique de la Russie et de la Chine en Asie centrale. Le Kazakhstan est la porte d’entrée de la Russie vers l’Asie centrale. Comme le souligne le spécialiste de l’Asie centrale Levystone, la Russie et la Chine ne sont pas les seuls partenaires du Kazakhstan. Les Pays-Bas sont également le principal partenaire commercial du pays (ARTE). Le Kazakhstan est l’un des principaux fournisseurs d’uranium et de pétrole brut à la France (Communiqué conjoint entre la France et le Kazakhstan du 30 novembre 2022, via Viepublique.fr). Comme indiqué dans les paragraphes ci-dessus, le Kazakhstan attire pour ses ressources naturelles. Le pays regorge de ressources naturelles. Il est riche en pétrole, gaz naturel, charbon, métaux, uranium (40 % des réserves mondiales). Le pays est le poids lourd de l’économie régionale, comme le dit le programme ARTE, et détient les ⅔ de l’économie régionale. Le programme ARTE, Asie centrale : à la croisée des mondes, souligne que le Kazakhstan connaît une croissance des partenariats et augmente ses accords en s’entendant avec tout le monde. En fait, nous faisons face à une véritable diplomatie multidimensionnelle car il vend ses richesses à Moscou, Pékin, l’Union européenne (le premier partenaire commercial du pays), la Turquie mais aussi aux États-Unis. C’est pourquoi le pays représente une grande richesse en termes de nucléaire, photovoltaïque, terres rares, infrastructures… Il est donc énormément convoité par les grandes puissances. Le Kazakhstan entend donc multiplier les facteurs de liens avec la France et l’Europe. « Le Kazakhstan et la France veulent relancer leur partenariat », peut-on lire dans un titre du journal français lefigaro.fr.
L’importance des investissements européens
À cet égard, Konopelko, A. (2018) fournit des chiffres : « L’Union européenne dans son ensemble est le premier investisseur étranger au Kazakhstan, et plus de la moitié du total des investissements directs étrangers (IDE) bruts au Kazakhstan proviennent des pays de l’Union européenne. » En 2014, le commerce total du Kazakhstan avec l’Union européenne a atteint plus de 30 milliards d’euros (plus de 52 milliards de dollars). En 2015, le commerce bilatéral a dépassé les 22 milliards d’euros, ayant diminué de 8 milliards d’euros. L’Union européenne a enregistré un déficit commercial de 10 milliards d’euros avec le Kazakhstan. En 2016, le commerce UE-Kazakhstan a atteint près de 18 milliards d’euros. Les produits minéraux (pétrole) représentaient 84,8 % du total des exportations kazakhes vers l’Union européenne. En 2015, la part de l’Union européenne dans le total des exportations kazakhes s’élevait à plus de 46,7 % et la part de l’UE dans le commerce total du Kazakhstan atteignait 33,8 % (Commission européenne. Direction générale du commerce 2016). Konopelko, A. (2018) ajoute que « les deux tiers des investissements de l’UE sont destinés à l’exploration et à l’extraction des ressources naturelles (principalement le pétrole, le gaz et les métaux). Sans aucun doute, le secteur de l’énergie joue un rôle crucial dans les relations bilatérales entre le Kazakhstan et l’Union européenne. »
La diversification des partenariats
« L’intérêt des Européens pour l’Asie centrale réside dans les ressources énergétiques alors que les hydrocarbures russes sont sous embargo (…), et les corridors de transport entre la Chine et l’UE, » résume Michael Levystone, chercheur français associé à l’Ifri et spécialiste de l’Asie centrale, pour l’AFP. D’un autre côté, « les sanctions contre l’économie russe incitent les pays d’Asie centrale à vouloir diversifier leurs partenariats sur la scène internationale. Le Kazakhstan est en effet convoité à tous les niveaux. Le président-directeur général d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, a déclaré : « Je suis optimiste quant au partenariat d’Alstom avec le Kazakhstan. La position géographique du Kazakhstan, le climat attractif pour les investissements directs étrangers et la demande croissante de solutions de mobilité créent le bon environnement pour que le Kazakhstan ne soit pas seulement un hub de transit dans la région mais aussi pour se positionner comme une base industrielle compétitive » (Railway technology.com).
Le Kazakhstan, un partenaire énergétique clé pour l’Europe
Enfin, le Kazakhstan est également un partenaire énergétique crucial pour l’Europe. Le Kazakhstan reste le troisième plus grand fournisseur d’énergie non-OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) de l’UE, derrière la Russie et la Norvège. José Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission européenne, a confirmé que le Kazakhstan est un partenaire énergétique important et fiable pour l’UE et que le nouvel accord de partenariat et de coopération bilatéral renforcera la coopération mutuelle dans le secteur de l’énergie et ira au-delà des engagements de l’OMC et du traité sur la Charte de l’énergie (Barroso 2014).
Conclusion
En conclusion, le Kazakhstan est un pays riche en ressources et un partenaire clé pour les géants mondiaux tels que la Russie, la Chine et l’Europe. Face aux tensions croissantes entre l’Europe et la Russie, le Kazakhstan devient une sorte de backup pour l’Union européenne et permet à cette dernière de multiplier ses partenaires internationaux. Sans oublier sa position stratégique qui fait du pays une puissance régionale croissante entre l’Europe et l’Asie. Pour que le partenariat entre l’Europe et le Kazakhstan se développe, Kembayev, Z. (2016) note que « l’auteur soutient que le partenariat UE-Kazakhstan peut se développer pleinement si l’UE et les pays post-soviétiques s’engagent à l’idée de créer une Europe élargie, c’est-à-dire une région distincte basée sur des valeurs communes et des intérêts partagés ».
Références
- Asie centrale : à la croisée des mondes – Le Dessous des cartes | ARTE, https://www.youtube.com/watch?v=aDu0XQK6kBA
- Barluet, A. (2022) Le Kazakhstan et la France veulent relancer leur partenariat” online via https://www.lefigaro.fr/conjoncture/le-kazakhstan-et-la-france-veulent-relancer-leur-partenariat-20221128
- Barroso JM (2014) Statement by President Barroso following his meeting with Mr Nursultan Nazarbayev, President of Kazakhstan. http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-14-675_en.htm. Accessed 14 July 2015Return to ref 2014 in article
- Communiqué conjoint entre la France et le Kazakhstan sur les relations entre les deux pays, le 30 novembre 2022, online via https://www.vie-publique.fr/discours/287388-presidence-de-la-republique-30112022-france-kazakhstan
- COP27: European Union concludes a strategic partnership with Kazakhstan on raw materials, batteries and renewable hydrogen, online via https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_22_6585
- Euractov; Emmanuel Macron accueille le président Kazakh Tokaiev et pousse l’Europe en Asie centrale, online via https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/emmanuel-macron-accueille-le-president-kazakh-tokaiev-et-pousse-leurope-en-asie-centrale/
- European Commission. Directorate-General for Trade (2016) European Union, Trade in goods with Kazakhstan. http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2006/september/tradoc_113406.pdf. Accessed 2 Apr 2017Return to ref 2016 in article
- Kassenova, N. (2016). The EU strategy for Central Asia: Imperatives and opportunities for change. A view from Kazakhstan. Friedrich-Ebert-Stiftung. Accessed February, 7, 2017.
- Kembayev, Z. (2016). Partnership between the European Union and the Republic of Kazakhstan: Problems and perspectives. European Foreign Affairs Review, 21(2).
- Konopelko, A. (2018). Eurasian Economic Union: a challenge for EU policy towards Kazakhstan. Asia Europe Journal, 16(1), 1-17.
- L’Asie centrale, une région si convoitée FRANCE 24, online via https://www.youtube.com/watch?v=nQK71TNbDrw
- Railwaytechnology.com, Alstom and Kazakhstan partner to boost local rolling stock production, online via https://www.railway-technology.com/news/alstom-kazakhstan-rolling-stock-production/
- Romano, V. 2022, Un « partenariat stratégique » entre UE et Kazakhstan sur l’hydrogène vert et les matières premières, via Euractiv, online https://www.euractiv.fr/section/energie/news/un-partenariat-strategique-entre-ue-et-kazakhstan-sur-lhydrogene-vert-et-les-matieres-premieres/