La France assiste depuis une décennie à un phénomène aussi paradoxal qu’inquiétant : la délinquance des mineurs, dans son volume global, recule. Mais dans le même temps, les actes de violence grave – agressions armées, rixes mortelles, attaques en réunion – connaissent une hausse significative. Ce glissement qualitatif interroge : à quoi assiste-t-on exactement ? Une transformation de la violence ? Une radicalisation de la marginalité juvénile ? Ou le reflet d’un malaise plus profond, ancré au cœur du corps social ?
Moins de vols, plus de coups
Les chiffres sont clairs : vols à l’étalage, petits larcins, tags et dégradations reculent nettement. La vidéosurveillance, la sécurisation des lieux publics, mais aussi la judiciarisation plus précoce des délits ont produit leur effet. Pourtant, dans les quartiers périurbains comme dans certains lycées « tranquilles », les forces de l’ordre constatent une recrudescence d’actes violents. En 2024, le nombre d’agressions graves impliquant des mineurs a augmenté de près de 15 %, selon les données du ministère de l’Intérieur.
Le phénomène le plus frappant : l’augmentation des violences interpersonnelles, souvent entre jeunes, pour des motifs dérisoires – regard de travers, commentaire sur les réseaux sociaux, rivalité amoureuse. À Créteil comme à Annecy, des rixes de lycéens dégénèrent. Les armes blanches circulent plus librement. Et l’âge des auteurs baisse.
Une jeunesse plus dure, moins encadrée
Ce ne sont pas nécessairement des “voyous professionnels”. Ce sont parfois des élèves ordinaires, issus de familles ni marginales ni favorisées, qui commettent l’irréparable. Là réside la nouveauté. « Ce n’est plus la délinquance de survie, c’est la délinquance de tension », observe un magistrat pour enfants. Les figures de l’autorité – famille, école, institutions – semblent avoir perdu leur capacité d’encadrement symbolique. Les adolescents, livrés à eux-mêmes, s’inventent leurs propres codes d’honneur et de hiérarchie – souvent violents, toujours précaires.
L’ombre des écrans et du vide social
À cela s’ajoute l’influence des réseaux sociaux, où l’humiliation circule plus vite que le remords. La mise en scène de la violence – filmée, partagée, commentée – crée une spirale de surenchère. Un acte isolé devient vite un défi collectif. La réalité est absorbée dans le théâtre numérique du spectaculaire.
Mais il serait trop simple de désigner TikTok ou Instagram comme les seuls coupables. Ce que révèle cette montée des violences graves, c’est une faille dans notre pacte républicain. Là où les jeunes ne trouvent plus de langage, ils frappent. Là où le collectif s’effondre, la brutalité s’impose.
Vers une éducation de la force intérieure
Face à cela, que propose la République ? Des mesures techniques, souvent nécessaires – encadrement renforcé, internats éducatifs, brigades spécialisées – mais qui peinent à répondre au besoin fondamental : redonner aux adolescents des repères, une colonne vertébrale morale, un sens. Il ne s’agit pas seulement de punir la main qui frappe, mais d’éduquer l’âme qui vacille.
Ce qui est en jeu, au fond, c’est notre capacité à transmettre un horizon commun à une jeunesse qui n’attend plus rien. Et qui, parfois, fait mal pour se sentir vivante.