Il y a dans la politique européenne une étrange passion pour le provisoire. Des solutions de court terme érigées en principes durables, des traités d’exception devenus la norme, des crises traitées à la semaine, comme si l’Histoire n’exigeait plus que de simples rustines technocratiques. L’Europe vit sous perfusion de temporaires : plans de relance “ponctuels”, accords “transitoires”, mesures “exceptionnelles”. Mais que reste-t-il du provisoire quand il dure ? Une instabilité pérenne. Un désordre organisé. Un monde qui chancelle, sans jamais basculer.
La pandémie, la guerre en Ukraine, l’inflation, les vagues migratoires ou encore la crise énergétique ont révélé une chose : l’Union européenne excelle dans l’urgence procédurale, mais redoute l’engagement visionnaire. Elle adapte, elle compense, elle rassure. Elle ne tranche pas. Elle est forte en gestion, faible en politique. C’est sa grandeur, disent certains. C’est son impuissance, murmurent d’autres.
Face à elle, les régimes dits “autoritaires” — Chine, Russie, une partie de l’Afrique — semblent pratiquer une toute autre forme de gestion du provisoire : brutale, rapide, parfois cynique, mais efficace dans le court terme. Ils n’attendent pas le consensus. Ils l’imposent. Le provisoire chez eux se décide par verticalité, et se transforme en stratégie de long cours, souvent au détriment des libertés, mais avec une clarté d’intention. Pékin réagit en planifiant, Moscou en consolidant le chaos, certains États africains en misant sur la survie par l’adaptation.
Est-ce un modèle ? Certainement pas. Mais c’est une leçon : la lenteur démocratique, si elle n’est pas soutenue par une vision ferme et partagée, devient une faiblesse structurelle. Or, dans un monde où le temporaire devient permanent, gérer le provisoire ne suffit plus. Il faut l’absorber, le transformer, l’anticiper. Il faut penser au-delà de l’agenda électoral.
L’Europe, engoncée dans ses calendriers, ses institutions et ses vertus procédurales, semble avoir oublié que gouverner, ce n’est pas seulement amortir les chocs, c’est aussi risquer des idées. Peut-on encore penser l’avenir quand tout est géré comme une extension du présent ? Peut-on encore décider sans s’excuser ? Peut-on encore imaginer, sans comité de validation, une vision continentale ?
Le provisoire est devenu un mode de gouvernement. Mais un continent ne se tient pas debout sur des béquilles. Il faudra bien, un jour, que l’Europe cesse de gérer les symptômes et recommence à produire du sens. Sinon, d’autres le feront à sa place — et plus rapidement.
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