C’est un retournement qui ferait presque passer Machiavel pour un esprit simple. À la surprise générale — et au mépris de ses positions passées — Donald Trump, revenu à la Maison-Blanche avec fracas en janvier dernier, a annoncé ce week-end une série de mesures qui pourraient redessiner la guerre en Ukraine… et les équilibres du commerce mondial.
D’une voix grave, derrière un pupitre orné du sceau présidentiel, Trump a ordonné de nouvelles livraisons d’armes à Kiev, dont les très convoités systèmes Patriot et les missiles longue portée ATACMS. Mieux — ou pire, selon l’angle — il a menacé la Chine, l’Inde et la Turquie de sanctions secondaires, assorties de droits de douane punitifs de 100%, s’ils continuaient à commercer avec la Russie en lui fournissant des « ressources à double usage ». Une surtaxe douanière qui, selon ses mots, « privera Poutine de l’oxygène financier nécessaire pour continuer la guerre ».
Du “America First” au “Russia Last” ?
Pour qui a suivi la rhétorique trumpienne depuis 2016, le geste a des allures de volte-face vertigineuse. L’homme qui raillait l’OTAN, courtisait Vladimir Poutine, et parlait de « conflit régional européen » en évoquant l’Ukraine, se pose désormais en chef de guerre occidental. Un chef de guerre protectionniste, certes, mais belliqueux tout de même.
Faut-il y voir une conversion stratégique ou un pragmatisme brutal ? Dans son entourage, certains évoquent une pression croissante du Pentagone, lassé de voir l’Europe en désarroi. D’autres pointent la logique purement transactionnelle : en surtaxant l’acier chinois, les turbines indiennes et les semi-conducteurs turcs, Trump relance en réalité une guerre commerciale dont il détient les clés. L’Ukraine devient un levier, pas une cause.
Un cynisme efficace ?
Derrière le coup de théâtre, il faut reconnaître une certaine efficacité. Le simple effet d’annonce a fait trébucher la Bourse de Shanghai, provoqué des remous à Ankara et des tensions au sein des BRICS. Les Européens, eux, restent médusés : ce revirement américain les soulage autant qu’il les humilie. C’est Trump, et non Bruxelles, qui frappe Moscou au portefeuille avec une brutalité chirurgicale.
Les nouvelles livraisons à l’Ukraine pourraient changer la donne sur le terrain. Le système Patriot renforce le bouclier aérien des grandes villes ; les missiles ATACMS, eux, redessinent la profondeur stratégique. Et pourtant, Trump n’a pas prononcé une seule fois le mot « démocratie » ou « droits de l’homme ». Il a parlé d’« investissement gagnant », de « coûts réduits pour l’Amérique » et de « bons deals pour le contribuable ». La morale reste hors-champ.
Vers un ordre post-idéologique ?
Ce revirement marque peut-être le début d’une gouvernance post-idéologique, où la défense des alliés ne repose plus sur des valeurs partagées, mais sur des intérêts bien calibrés. Trump ne soutient pas Kiev contre Moscou au nom d’une liberté commune, mais pour déséquilibrer Pékin, contenir Delhi et rappeler à Ankara où se situe la frontière de l’acceptable.
C’est brutal, incohérent, déroutant — mais c’est efficace. Et c’est peut-être cela, le trumpisme 2.0 : une politique étrangère désinhibée, amnésique mais redoutablement tactique, où les principes s’effacent au profit des leviers de puissance pure.
Ce que Trump nous dit en silence, c’est que la guerre n’a pas changé. Seul le discours autour d’elle s’est embourgeoisé.
Lui ne s’encombre plus de récits. Il impose les rapports de force. L’Histoire, comme souvent, en prendra note.
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