La question a longtemps semblé réservée aux stratèges, aux diplomates, aux cercles feutrés où l’on fume des Havane en feuilletant des rapports classifiés. Elle est désormais sur toutes les lèvres. Car l’histoire, capricieuse, revient frapper aux portes du continent : guerre aux frontières, menaces hybrides, diplomatie des drones et des gazoducs. Alors, face à la recomposition brutale du monde, une interrogation surgit avec insistance : l’Europe doit-elle craindre davantage Téhéran ou Moscou ?
À première vue, la réponse paraît évidente : la Russie bombarde l’Ukraine, stationne ses troupes à la lisière de l’OTAN, manipule les élections, assassine sur commande. Elle a réintroduit la guerre conventionnelle au cœur du continent, ranimant les cauchemars de 1940 sous un vernis cybernétique. Poutine n’est pas un perturbateur, il est un adversaire stratégique. Un voisin aux ambitions impériales et aux méthodes d’un autre siècle, qui a fait de la terreur une grammaire d’État.
Mais détourner entièrement le regard de l’Iran serait une erreur d’époque. Car la menace iranienne est d’un autre ordre : plus diffuse, plus asymétrique, plus idéologique. Elle se niche dans les interstices du Proche-Orient, dans les réseaux chiites transnationaux, dans l’enrichissement accéléré de l’uranium, et dans une politique étrangère qui confond la théologie et la géopolitique. Téhéran arme, finance et influence. À Gaza, au Liban, en Syrie, au Yémen. L’Iran ne frappe pas frontalement : il griffe, il infiltre, il attend.
Et si la Russie inquiète par sa brutalité directe, l’Iran, lui, inquiète par sa longévité. Car à la différence de Moscou, Téhéran n’a jamais rompu avec sa logique révolutionnaire. L’Europe, engoncée dans ses principes juridiques et sa diplomatie multilatérale, ne sait comment traiter une théocratie qui rêve d’hégémonie régionale et traite toute négociation comme une guerre d’usure.
À Bruxelles, certains veulent croire à la nuance : la Russie est la menace militaire immédiate ; l’Iran, un foyer d’instabilité périphérique. Mais ce découpage est illusoire. Le théâtre mondial s’est reconfiguré. La Russie arme les ennemis de l’Europe, l’Iran arme les ennemis d’Israël, et tous deux s’échangent regards, drones et intérêts. Leurs convergences sont stratégiques, énergétiques, presque civilisationnelles. Une alliance des revanches, face à une Europe qui doute.
Alors, qui est le plus dangereux ? Peut-être est-ce la mauvaise question. Le vrai danger pour l’Europe n’est pas tant l’un ou l’autre, mais sa propre hésitation. Son refus de nommer les ennemis, de penser la puissance, de réarmer sa souveraineté. La peur est un mauvais conseiller, mais l’aveuglement est un allié mortel.
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