C’est un ballet feutré, mais résolu. Tandis que l’Occident s’use à panser les plaies de l’après-pandémie et que la Chine redessine sa stratégie africaine à coups de dettes et d’infrastructures, un autre acteur, plus discret mais non moins ambitieux, déploie une diplomatie d’influence : la Russie.
Depuis quelques années, le Kremlin avance ses pions sur le continent africain avec une finesse d’échiquier soviétique, sans le vacarme des drones ni l’arrogance des donneurs de leçons. Ni colonisateur classique, ni bienfaiteur désintéressé, Vladimir Poutine préfère incarner le tiers compagnon, celui qui comprend les humiliations postcoloniales, flatte les souverainetés meurtries et offre, en prime, sécurité et silence.
Wagner, avatars et nostalgies impériales
Le cœur du dispositif russe est aujourd’hui incarné par une nébuleuse paramilitaire à la réputation sulfureuse : le groupe Wagner. Si son nom évoque davantage Bayreuth que Bangui, c’est bien en Centrafrique, au Mali ou au Soudan que ses mercenaires s’imposent comme la nouvelle police parallèle des régimes en place. À Bangui, les rues arborent des fresques aux couleurs russes ; à Bamako, on rejette Barkhane pour mieux accueillir les uniformes sans insigne.
Mais cette présence armée n’est que la surface d’un projet plus large. Le Kremlin déploie un imaginaire. Il ne vend pas que des armes ou des hommes de main ; il propose un récit. Celui d’un monde multipolaire, affranchi de l’Occident moralisateur. La Russie se rêve en héritière du soutien soviétique aux luttes anti-impérialistes, tout en flattant les nouveaux autocrates en quête de légitimité.
Diplomatie à l’ancienne, rhétorique postmoderne
Les sommets Russie-Afrique se succèdent avec la régularité des salons parisiens. Discours en français châtié, contrats énergétiques, promesses de bourses d’études, projets culturels : Moscou soigne les apparences. Dans les chancelleries africaines, on apprécie cette forme de classicisme diplomatique, cette absence de conditionnalité libérale, ce respect des hiérarchies étatiques, même quand elles vacillent.
Contester l’Occident ne signifie plus rêver d’Europe, mais parfois brandir Poutine comme un contre-modèle viril et anti-hégémonique, dans un étonnant mélange de ressentiment postcolonial et de réhabilitation autoritaire.
Vers un nouvel équilibre ?
Il serait cependant naïf d’imaginer que le Kremlin est un partenaire désintéressé. Là où la Russie s’implante, elle extrait – or, uranium, diamants – et verrouille. La coopération russe est souvent asymétrique, opaque, à l’abri des regards civils. Les sociétés africaines peinent à exiger des comptes à ces alliances de l’ombre, pourtant lourdes de conséquences économiques et politiques.
Ce qui se joue ici, c’est un repositionnement global. L’Afrique, longtemps périphérique, redevient un théâtre central des rivalités entre puissances. Entre la soif chinoise, la culpabilité européenne et la brutalité russe, le continent doit faire preuve de vigilance. Car sous le vernis des discours anticolonialistes, c’est parfois un néo-impérialisme aux gants blancs qui s’invite à la table.
Et demain ?
Rien n’est encore figé. Les sociétés africaines observent, résistent, dénoncent aussi. Les élites sont divisées, la jeunesse méfiante. Et si le Kremlin maîtrise les codes de l’influence, il ignore souvent les subtilités locales, les mémoires blessées, les aspirations nouvelles. L’Afrique n’est pas un échiquier, mais un labyrinthe. Et même les stratèges les plus aguerris y perdent parfois leur boussole