Il est des voix qui ne s’éteignent jamais. Celle de François Truffaut continue de flotter au-dessus du cinéma européen comme un fantôme bienveillant, un esprit de chambre noire, de pellicule et de révolte douce. Mort il y a quarante ans, le plus littéraire des cinéastes français est aujourd’hui moins cité qu’invoqué, tant son œuvre infuse les travellings lents, les dialogues retenus, les fuites romantiques à travers l’Europe.
L’homme qui filmait l’enfance et l’élégance des sentiments
C’est sans doute ce regard mélancolique, toujours au bord de l’eau, qui fait de Truffaut une figure si durable. Là où Godard déconstruisait avec fracas, Truffaut reconstruisait avec tendresse : l’amour, l’absence, le rêve de vivre. La Nouvelle Vague n’était pas pour lui une rupture seulement formelle, mais une question de ton. Un ton qui, depuis Les Quatre Cents Coups, s’est transmis de génération en génération, des frères Dardenne à Paolo Sorrentino, de Lukas Dhont à Mia Hansen-Løve.
À l’instar d’un Rohmer plus charnel, Truffaut a laissé une grammaire sentimentale que le cinéma européen n’a jamais cessé de réécrire. Ses films sont devenus des manuels de pudeur moderne. Chaque cinéaste qui filme un adolescent dans une chambre, une femme qui doute au petit matin, un homme qui pleure sans bruit, puise un peu dans le lexique truffaldien.
Une Europe d’intérieurs, de couloirs, de livres
On oublie parfois que Truffaut fut un homme de lettres avant d’être un homme d’images. Lecteur vorace, critique brillant (sa prose dans Les Cahiers du cinéma conserve une rigueur politique), il a toujours fait du cinéma un prolongement de la bibliothèque. Cette culture du roman européen – Stendhal, Cocteau, Henry James – irrigue tout son travail, et l’on en retrouve l’écho chez les auteurs européens contemporains les plus discrets : Christian Petzold en Allemagne, Joanna Hogg au Royaume-Uni, voire Ruben Östlund quand il cesse de provoquer.
Il ne s’agissait pas, pour Truffaut, d’illustrer la littérature mais d’en traduire le battement. Cela a permis au cinéma d’auteur européen de s’ancrer dans une tradition qui ne renie pas l’intime, où l’invisible est toujours à filmer.
L’influence discrète mais persistante
Truffaut n’a pas engendré d’école. Il n’a pas théorisé de manifeste. C’est en cela qu’il inspire encore. Parce que son cinéma, fluide et sincère, échappe aux récupérations trop évidentes. Son influence est moins dans les formes que dans l’éthique : filmer sans trahir, raconter sans asséner. L’amour du cinéma comme un feu qu’on entretient, pas une lumière qu’on brandit.
Dans un paysage européen où les plateformes imposent vitesse, ironie et narration algorithmique, Truffaut reste un rappel précieux : celui d’un cinéma qui prend son temps, croit aux visages et aux silences, et préfère à la frénésie du spectaculaire la lenteur d’une confidence.
On ne dira jamais assez que Truffaut fut un sentimental radical. C’est peut-être cela, au fond, qui le rend si moderne. Il croyait que filmer quelqu’un, c’était déjà l’aimer un peu. Cette foi, rare et précieuse, continue d’irriguer un continent d’auteurs. Dans chaque film où l’on regarde vivre quelqu’un sans le juger, Truffaut est là. Discrètement, obstinément, comme un souffle