Il est des puissances qui, à force de jouer contre le monde, finissent par jouer contre elles-mêmes. En ressuscitant les logiques impériales du XXe siècle au cœur d’un XXIe siècle de réseaux, d’interdépendances et d’images, Vladimir Poutine semble avoir refermé la Russie sur elle-même comme on ferme les volets d’un manoir de famille décrépit. Certes, l’homme fort du Kremlin peut encore compter sur des alliances opportunistes avec la Chine, l’Iran ou quelques régimes militaires africains. Mais ces accointances périphériques peuvent-elles suffire à masquer l’isolement progressif d’un pays qui fut, autrefois, au cœur de l’équilibre stratégique mondial ?
Une posture néo-tsariste en décalage avec le monde
Depuis son retour au pouvoir en 2012, Poutine s’est érigé en défenseur d’une « civilisation russe » opposée aux valeurs occidentales libérales. Derrière ce discours identitaire se cache une ambition plus profonde : celle d’un empire restauré, d’une Russie forte, crainte et respectée. Mais à vouloir tordre le cours de l’histoire pour restaurer des frontières mentales et territoriales révolues, le maître du Kremlin a peut-être précipité la Russie dans une impasse géopolitique.
L’invasion de l’Ukraine en février 2022 — et la persistance dans cette guerre — a conduit à une rupture sans précédent avec l’Europe. Embargos, gels d’avoirs, départ de centaines d’entreprises étrangères : les sanctions économiques ont isolé Moscou des marchés, des circuits financiers et des savoirs internationaux. Plus encore, l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, jusque-là officiellement neutres, marque un basculement : loin d’affaiblir l’Alliance atlantique, le geste poutinien l’a revivifiée.
Une Russie recluse, mais pas effondrée
N’allons pas trop vite. L’ours russe ne s’effondre pas ; il se réorganise. Fort de ses ressources naturelles, d’un appareil répressif consolidé et d’un storytelling nationaliste inlassablement martelé, le régime tient. Mais à quel prix ? La fuite des cerveaux, l’exil des artistes et l’appauvrissement progressif de la société civile annoncent une Russie plus terne, moins ouverte, moins inventive.
Sur le plan technologique, le pays dépend désormais de relais chinois pour contourner les sanctions, mais perd en autonomie. Le soft power russe — jadis incarné par ses écrivains, ses cinéastes ou ses scientifiques — s’est estompé, remplacé par la rhétorique guerrière de la propagande d’État.
La solitude des empires qui se rêvent éternels
Le paradoxe est cruel : en voulant redonner à la Russie une place centrale, Poutine l’a marginalisée. En défiant l’Occident, il l’a poussé à une unité inédite depuis la Guerre froide. En prétendant protéger son pays du « déclin moral occidental », il l’a enfermé dans une crispation identitaire aux airs de fuite en avant.
L’histoire jugera si Vladimir Poutine fut un stratège visionnaire ou le fossoyeur d’un avenir russe plus libre et plus intégré. Mais déjà, il semble évident que son règne a refermé une parenthèse d’ouverture — celle, fragile, des années 1990 et 2000 — au profit d’un face-à-face rugueux avec le monde. Un isolement dont la Russie pourrait ne pas se relever, ou alors, au prix d’une profonde mue.
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