Depuis le début du XXIe siècle, la Turquie s’impose comme un acteur géopolitique majeur, au carrefour de plusieurs mondes : l’Occident atlantique, le Moyen-Orient, le Caucase, l’Asie centrale et la mer Noire. Son positionnement géographique unique et ses choix stratégiques en constante évolution lui permettent de jouer un rôle d’équilibriste entre l’OTAN, dont elle est membre depuis 1952, et les puissances eurasiennes comme la Russie, la Chine et les pays turcophones d’Asie centrale.
Une relation complexe avec l’OTAN
La Turquie est l’un des membres les plus puissants militairement de l’OTAN. Elle dispose de la deuxième plus grande armée de l’Alliance après les États-Unis et constitue un maillon essentiel pour la sécurité du flanc sud-est de l’Europe. Pourtant, ses relations avec ses alliés occidentaux se sont tendues ces dernières années, notamment à cause :
- de l’achat du système de défense antiaérien russe S-400 en 2019, perçu comme une menace par l’OTAN,
- de ses désaccords avec les États-Unis sur la politique en Syrie (soutien américain aux Kurdes),
- de son opposition à l’adhésion rapide de la Suède et de la Finlande à l’OTAN.
Malgré ces tensions, Ankara reste un pilier incontournable de l’Alliance. Elle utilise cette position pour affirmer son autonomie stratégique et faire valoir ses propres intérêts régionaux.
Vers une politique étrangère néo-ottomane ?
Depuis l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan, la politique étrangère turque s’est caractérisée par une volonté d’indépendance croissante. La Turquie cherche à s’affirmer comme puissance régionale, parfois en contradiction avec ses alliés occidentaux.
Cette ambition se manifeste par :
- une présence militaire accrue au Moyen-Orient (Syrie, Irak),
- une influence renforcée dans les Balkans, en Libye et en Afrique,
- le développement de relations étroites avec les pays turcophones d’Asie centrale via l’Organisation des États turciques.
L’objectif d’Ankara semble clair : retrouver un rôle central dans son espace géopolitique historique, dans une logique parfois qualifiée de « néo-ottomane ».
Un pont avec l’Eurasie
En parallèle de son rôle dans l’OTAN, la Turquie développe des relations soutenues avec les puissances eurasiennes. Elle entretient une coopération pragmatique avec la Russie malgré des tensions ponctuelles (comme en Syrie ou en Libye), et se rapproche de la Chine dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative).
Sa position lui permet aussi de jouer un rôle central dans les questions énergétiques. Située entre les gisements de gaz de la mer Caspienne et les marchés européens, elle se positionne comme un hub énergétique régional, important tant pour l’Occident que pour ses partenaires orientaux.
Un acteur autonome dans un monde multipolaire
La Turquie ne cherche plus à être simplement un « bon élève » de l’Occident. Elle revendique une diplomatie indépendante, fondée sur ses intérêts nationaux, quitte à bousculer les équilibres traditionnels. Cela se traduit par :
- une posture de médiateur dans la guerre en Ukraine, tout en vendant des drones à Kyiv et maintenant le dialogue avec Moscou,
- une participation active dans des formats alternatifs comme l’Organisation de Coopération de Shanghai (en tant que partenaire de dialogue),
- une politique africaine offensive fondée sur le soft power et la coopération militaire.
Conclusion : entre alliance et autonomie
La Turquie incarne un modèle d’allié stratégique difficile à classer. À la fois pilier de l’OTAN et partenaire des puissances eurasiennes, elle façonne un rôle de « pivot géopolitique » dans un monde multipolaire. Ce positionnement hybride lui permet de maximiser son influence, mais implique aussi un exercice d’équilibrisme délicat, entre fidélité institutionnelle et quête de souveraineté stratégique.