Crise de confiance, modèle pyramidal, bulles spéculatives… L’actualité récente – de l’affaire FTX à l’essoufflement du capital-risque – ramène sur le devant de la scène une vieille interrogation : tout serait-il un schéma de Ponzi déguisé ? Ce soupçon croissant, souvent relayé sur les réseaux sociaux avec le mème “Everything is Ponzi”, révèle une angoisse profonde : et si nos modèles économiques étaient construits non pas sur la création de valeur… mais sur l’entrée permanente de nouveaux participants ? Décryptage d’une comparaison aussi virale qu’éclairante.
1. Ponzi et pyramide : définitions et signaux d’alerte
Terme | Mécanique | Signal d’alarme clé |
---|---|---|
Schéma de Ponzi | Un opérateur promet un rendement « garanti » et rémunère les anciens investisseurs avec les fonds des nouveaux sans réelle activité sous-jacente. | Rendements réguliers suspects, opacité, besoin constant de nouveaux entrants. |
Pyramide de type “chaîne de lettres” | Les participants sont rémunérés pour recruter d’autres membres ; le produit/service est marginal voire inexistant. | Accent excessif sur le recrutement, commissions obscures. |
🔍 Source : investor.gov
Dans les deux cas, le moteur n’est pas la productivité, mais l’élargissement perpétuel de la base. Quand ce processus s’essouffle, l’édifice s’effondre.
2. Pourquoi a-t-on l’impression que « tout est Ponzi » aujourd’hui ?
Le parallèle revient avec insistance dans les débats sur :
- Les crypto-monnaies et les promesses DeFi, devenues soupçonnées de pyramides sophistiquées.
- Le capital-risque, avec des startups surévaluées vivant de tours de financement sans rentabilité.
- Les systèmes publics comme les retraites, parfois qualifiés de “Ponzi intergénérationnel”, à l’image des propos de Milton Friedman sur la sécurité sociale américaine (hoover.org).
Les causes de cette perception sont triples :
1. Une croissance obligatoire des flux : abonnés, utilisateurs, investisseurs… la survie de nombreux modèles exige un afflux continu.
2. Un décalage temporel : les promesses de rendement sont projetées dans le futur, tandis que les contributions sont immédiates.
3. Une opacité accrue : tokens complexes, produits financiers abstraits, montages opaques… tout cela rend floue la distinction entre valeur réelle et mirage.
3. Analogie #1 : La chaise musicale – ou l’art de quitter avant le silence
Imaginez une salle remplie de chaises. Tant que la musique (les capitaux entrants) joue, tout semble prospère. Mais dès que le rythme ralentit — à cause d’une crise de liquidité ou d’un changement réglementaire — certains ne trouvent plus de place : le système révèle sa fragilité.
On a vu ce mécanisme à l’œuvre dans la bulle immobilière chinoise et les difficultés d’Evergrande ou Country Garden. Les prix montaient grâce à une demande spéculative… jusqu’à ce que la musique du crédit se coupe.
4. Analogie #2 : Le feu de camp alimenté au petit bois
Un feu vif a besoin de petit bois sec – autrement dit, de capitaux frais. Si l’on n’a que des bûches humides (projets non rentables), il finit par s’éteindre.
Cas concret : Le financement en série de startups déficitaires (ex : WeWork) qui ne survivent que tant que l’argent afflue.
5. Analogie #3 : La fontaine de village
L’eau coule si quelqu’un pompe en continu. Le bassin inférieur (anciens participants) dépend du bassin supérieur (nouveaux entrants).
Les systèmes de retraite européens par répartition, face au vieillissement démographique, illustrent ce besoin de “pomper” plus fort (cotisations plus hautes, départs plus tardifs).
6. Tout n’est pas Ponzi : comment distinguer un vrai modèle économique
Voici quatre critères pour ne pas se faire piéger :
- Création de valeur réelle : l’entreprise produit-elle un bien ou service vendu à des clients extérieurs ?
- Transparence : les comptes sont-ils audités, les flux lisibles ?
- Rendements variables : sont-ils proportionnels aux risques, ou promis à l’avance ?
- Croissance soutenable : la survie du modèle ne dépend-elle pas d’une croissance exponentielle irréaliste ?
Exemples de modèles sains : l’immobilier locatif avec loyers, les entreprises cotées avec cash-flow net positif, ou les coopératives énergétiques locales.
7. Pourquoi l’accusation de Ponzi est si virale ?
- Psychologie collective : après des scandales comme Madoff ou FTX, la défiance est généralisée.
- Simplification redoutable : « Ponzi » résume en un mot une critique financière complexe.
- Amplification numérique : les réseaux sociaux propagent les doutes plus vite que les audits.
Le terme est devenu une arme rhétorique : l’accusé doit prouver qu’il ne l’est pas, même si rien ne l’indique à première vue.
8. Que faire, en tant qu’investisseur avisé ?
Dans un monde où la frontière entre innovation et illusion est mince, voici les bons réflexes :
- Analyser la source du rendement : est-ce issu de l’exploitation ou d’une simple revente future ?
- Tester la résilience sans nouvel argent : que se passe-t-il si les entrées se figent ?
- Évaluer la vitesse du cycle capitalistique : plus elle est courte, plus le risque est élevé.
- Se diversifier intelligemment : vers des actifs générateurs de cash-flows (immobilier, dividendes stables, énergie, agriculture).
- Observer la conformité réglementaire : un agrément officiel ou un audit rigoureux est une première ligne de défense.
9. Conclusion : Ponzi n’est pas un verdict automatique, mais un prisme d’analyse
Non, tout n’est pas Ponzi. Mais le fait que l’expression revienne souvent souligne notre dépendance à des modèles fondés sur la promesse d’un futur toujours meilleur, financé par des entrants toujours plus nombreux.
Comprendre les dynamiques de flux, de confiance et de vitesse est aujourd’hui essentiel. C’est la condition pour investir lucidement, distinguer la bulle de l’innovation, et éviter d’être celui qui reste debout… quand la musique s’arrête.
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