Il y a 35 ans, dans une station balnéaire feutrée de la côte atlantique, François Mitterrand prononçait un discours qui fit frémir les chancelleries et vibrer les esprits postcoloniaux. Nous étions le 20 juin 1990, à La Baule. Ce jour-là, dans un ton aussi docte que paternel, le président français liait enfin l’aide au développement à la démocratisation des régimes africains. En somme : plus d’urnes, moins de valises.
« Le vent de la liberté souffle, et nous n’y pouvons rien », disait-il, faisant écho aux murmures de l’Est en ruine et aux désirs de changement au Sud. À l’époque, l’Afrique pliait sous le poids des partis uniques, des dictatures militaires, des chefs d’État à vie. L’annonce était fracassante. La France, puissance tutélaire à peine repentante, se voulait soudain garante d’un avenir démocratique pour ses anciennes colonies.
Une démocratie en trompe-l’œil ?
Mais que reste-t-il, en 2025, de cette injonction mitterrandienne ? À première vue, les bulletins ont remplacé les balles : élections multipartites, commissions électorales, alternances. Le continent, sur la forme, a fait ses devoirs. Le Mali, le Burkina Faso, le Niger – aujourd’hui dirigés par des juntes militaires – furent jadis célébrés comme de jeunes démocraties prometteuses. D’autres, comme le Sénégal ou le Ghana, ont entretenu plus durablement l’illusion d’un modèle républicain stable.
Cependant, la réalité politique africaine ressemble trop souvent à une comédie électorale bien huilée. Les constitutions sont modifiées à la carte, les opposants embastillés ou exilés, les sociétés civiles réprimées avec un zèle qui ferait rougir les barbouzes d’antan. La démocratie est là, oui, mais trop souvent vidée de son sens : une démocratie d’apparat, mise en scène pour les chancelleries occidentales et les bailleurs de fonds.
Une jeunesse en rupture
Et pourtant, l’Afrique change. La démocratie ne se résume plus aux standards d’antan. C’est sur les réseaux sociaux, dans les rues de Khartoum ou les rassemblements citoyens d’Abidjan, que s’écrivent les nouvelles formes de dissidence. La jeunesse africaine – urbaine, connectée, polyglotte – refuse le cynisme des élites. Elle rêve de justice sociale, de dignité, de souveraineté réelle. Ce ne sont plus les injonctions venues de Paris, de Bruxelles ou de Washington qui comptent, mais bien les luttes locales, les mobilisations endogènes, les nouvelles utopies.
Il y a là une ironie de l’histoire : la promesse démocratique de La Baule, imposée d’en haut, semble aujourd’hui portée par les forces d’en bas. Et c’est peut-être cela, le legs le plus durable du discours mitterrandien : avoir ouvert une brèche, que les peuples eux-mêmes sont désormais en train d’élargir.
Un héritage ambivalent
Alors, Mitterrand fut-il visionnaire ou donneur de leçons ? Les deux, sans doute. Il parlait d’un monde qu’il connaissait mal, mais dont il pressentait les mutations. Il n’a pas inventé la démocratie africaine – il a simplement donné à la France l’illusion d’en être l’accoucheuse.
En 2025, l’Afrique n’est pas encore démocratique, mais elle n’est plus docile. Et c’est peut-être, en définitive, le vrai triomphe de La Baule : avoir transformé la démocratie en débat, et non plus en diktat
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