En Eurasie, les nouvelles technologies bouleversent les sociétés à un rythme inédit, redéfinissant les dynamiques sociales, économiques et politiques. Dans cette vaste région marquée par une grande diversité de systèmes politiques, de niveaux de développement et de priorités nationales, les innovations numériques ne sont pas simplement des outils techniques : elles deviennent des instruments de modernisation, de gouvernance, d’émancipation mais aussi, parfois, de contrôle.
La digitalisation a d’abord été perçue comme un levier de croissance. De nombreuses capitales eurasiatiques ont investi dans les infrastructures numériques, la formation des talents locaux et la connectivité des territoires. Des plateformes de services publics en ligne ont vu le jour, facilitant les démarches administratives, la fiscalité, ou encore l’accès à la santé et à l’éducation. Ce processus s’est accéléré avec la pandémie de COVID-19, qui a mis en évidence le rôle central des technologies dans la continuité de l’État et de l’économie.
Les entreprises technologiques, qu’elles soient locales ou étrangères, ont rapidement saisi le potentiel de ces marchés émergents. Des start-up innovantes apparaissent dans des secteurs variés comme la fintech, l’agritech, la télémédecine ou la logistique. L’entrepreneuriat numérique est encouragé par certains gouvernements qui y voient un moyen de diversifier leurs économies, souvent trop dépendantes des matières premières. Le commerce en ligne progresse, les services de paiement mobile se généralisent, et les jeunes générations adoptent massivement les outils numériques pour se former, travailler, ou simplement s’exprimer.
Mais cet essor ne va pas sans questionnements. Les disparités d’accès aux technologies restent importantes entre les zones urbaines et rurales, entre les centres politiques et les périphéries, ou entre les groupes sociaux. La fracture numérique est une réalité, et elle risque d’accentuer les inégalités existantes si elle n’est pas accompagnée de politiques publiques inclusives. La connectivité ne garantit pas l’émancipation si elle ne s’accompagne pas d’éducation numérique, de transparence et de confiance dans les institutions.
Par ailleurs, les gouvernements d’Eurasie adoptent des approches différentes face aux défis éthiques et politiques que posent les technologies. Dans certaines sociétés, les technologies de surveillance, la reconnaissance faciale, les bases de données biométriques ou les réseaux sociaux contrôlés deviennent des instruments de stabilité. Elles sont utilisées pour prévenir les troubles, surveiller les comportements ou canaliser l’information. Ces outils, s’ils permettent une efficacité accrue de l’administration, posent aussi la question de l’équilibre entre sécurité et libertés fondamentales.
La circulation de l’information est au cœur de ces tensions. Les réseaux sociaux, plateformes de vidéos courtes et messageries cryptées permettent une expression citoyenne plus directe, souvent plus spontanée, parfois plus critique. Dans plusieurs pays, les autorités cherchent à réguler l’espace numérique, en instaurant des législations sur la cybersécurité, la modération des contenus ou l’hébergement des données. Ces mesures visent à protéger la souveraineté numérique, mais suscitent aussi des débats sur la liberté d’expression et le pluralisme des opinions.
La jeunesse, en particulier, joue un rôle moteur dans cette transformation. Connectée, créative, multilingue et souvent autodidacte, elle utilise les technologies comme un outil d’insertion sociale, de revendication ou de création. Les influenceurs locaux, les vidéastes, les codeurs et les ingénieurs construisent de nouveaux récits, échappant parfois aux discours traditionnels. Cette dynamique génère de nouvelles formes de citoyenneté, de solidarité mais aussi de frustrations, notamment dans les contextes où les perspectives économiques peinent à suivre la modernité technologique.
L’intelligence artificielle, les données massives, la blockchain ou encore l’internet des objets font aussi leur entrée dans les politiques publiques. Des expérimentations sont menées dans la gestion urbaine, les transports, l’agriculture ou l’éducation. Certains États souhaitent devenir des « smart nations », en adoptant des cadres juridiques modernes et en attirant des investissements étrangers. Toutefois, la dépendance aux technologies importées, notamment en provenance de Chine ou d’Europe, pose la question de la souveraineté technologique. Comment protéger les données ? Comment éviter la fuite des cerveaux ? Comment développer un modèle technologique propre à la région ?
Face à ces défis, la coopération régionale en matière de technologies numériques émerge lentement. Des forums, des projets de connectivité transfrontalière, des accords de cybersécurité ou des initiatives en matière de normes techniques voient le jour. Ils témoignent d’une prise de conscience commune : les technologies ne sont pas neutres. Elles peuvent unir autant que diviser, moderniser autant que contrôler, et c’est aux sociétés elles-mêmes de choisir les chemins à suivre.
Ainsi, l’impact des nouvelles technologies sur les sociétés eurasiennes est profond, ambivalent et en constante évolution. Il ne s’agit pas simplement d’un rattrapage technologique ou d’un transfert de compétences, mais d’une transformation sociale et politique majeure. Les États, les citoyens et les entreprises sont tous confrontés à une même question : comment faire de ces technologies un levier d’inclusion, de progrès et de souveraineté, et non un vecteur d’exclusion ou de dépendance ? Les réponses varieront d’un pays à l’autre, mais une chose est sûre : l’avenir numérique de l’Eurasie se joue dès aujourd’hui.