Introduction
Fondée en 2009 sous le nom de Conseil turcique et rebaptisée en 2021 « Organisation des États turciques » (OET), cette structure regroupe des pays partageant des liens linguistiques, culturels et historiques forts : la Turquie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizistan et l’Ouzbékistan (membres), avec la Hongrie, le Turkménistan et l’Irak comme observateurs. Derrière ce projet se dessinent des ambitions stratégiques régionales portées par Ankara, mais aussi des limites géopolitiques et économiques bien réelles.
Une vision pan-turque modernisée
L’OET s’inscrit dans une stratégie à long terme de la Turquie visant à renforcer sa position en Eurasie et à promouvoir une identité commune turcique. Ce projet n’est pas nouveau : dès les années 1990, après la chute de l’URSS, Ankara cherchait déjà à construire une coopération renforcée avec les nouvelles républiques turcophones.
Aujourd’hui, cette vision est relancée dans un contexte international multipolaire où la Turquie cherche à s’émanciper de l’Occident et à élargir son influence. L’Organisation agit comme un levier d’influence douce, combinant échanges culturels, coopération éducative, harmonisation linguistique et promotion d’infrastructures communes.
Des piliers de coopération multiples
L’OET repose sur plusieurs axes :
- Langue et culture : création d’un alphabet turcique commun, échanges universitaires (bourses, universités turciques), promotion d’un patrimoine partagé.
- Économie : volonté de créer une zone économique intégrée, de favoriser les échanges commerciaux et les investissements interrégionaux, notamment via la Banque turcique de développement en projet.
- Connectivité : mise en avant du corridor transcaspien (aussi appelé « Middle Corridor »), une alternative logistique entre la Chine et l’Europe passant par la Turquie, la mer Caspienne et l’Asie centrale.
- Sécurité et défense : bien que l’OET ne soit pas une alliance militaire, les exercices conjoints, les ventes d’armes (notamment les drones turcs à l’Azerbaïdjan et au Kirghizistan) et la coopération sécuritaire montrent une coordination croissante.
La Turquie en chef de file ?
La Turquie joue un rôle moteur dans cette organisation. Forte de son poids économique, militaire et diplomatique, elle se positionne comme un leader naturel. Ce leadership est renforcé par la victoire de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabakh en 2020, obtenue notamment grâce au soutien militaire turc. Cela a servi de démonstration de force et de solidarité entre États turciques.
Le président Erdoğan promeut cette union comme un projet civilisationnel, mais aussi stratégique : la Turquie cherche à équilibrer ses relations avec l’Occident, la Russie et la Chine en s’appuyant sur un bloc culturellement et politiquement aligné.
Des réalités complexes sur le terrain
Cependant, plusieurs défis limitent l’ambition de l’OET :
- Diversité politique : les États membres présentent des systèmes politiques très différents, de l’autoritarisme fort (Turkménistan) à des formes plus libérales (Kirghizistan). L’absence d’harmonisation ralentit l’intégration.
- Relations avec d’autres puissances : la Russie, historiquement influente en Asie centrale, observe l’OET avec méfiance. La Chine, quant à elle, est le principal partenaire économique des États d’Asie centrale et ne souhaite pas voir une puissance concurrente émerger.
- Faiblesses économiques : malgré des progrès, le commerce intra-OET reste faible. La dépendance vis-à-vis de marchés extérieurs (UE, Chine, Russie) freine la formation d’un marché autonome.
- Profondeur institutionnelle : contrairement à l’Union européenne ou à l’OTAN, l’OET reste largement symbolique, avec peu d’outils juridiquement contraignants.
L’Organisation des États turciques incarne un projet ambitieux de convergence culturelle, politique et stratégique porté principalement par la Turquie. Elle constitue un levier de rayonnement pour Ankara et une plateforme de coopération attractive pour les États d’Asie centrale en quête d’équilibre entre puissances.
Mais ses ambitions se heurtent à des réalités politiques et géopolitiques complexes. Pour l’instant, l’OET reste un forum de dialogue et d’affirmation identitaire plus qu’un véritable acteur géopolitique intégré. Son avenir dépendra de sa capacité à dépasser les divergences internes, à résister aux pressions extérieures et à traduire les discours en projets concrets.