L’image persistante des prisons européennes est souvent celle d’un modèle plus « humain » que celui d’autres continents. Pourtant, derrière cette façade civilisée, une réalité plus trouble émerge : surpeuplement, insalubrité, alimentation médiocre, violences internes… Les prisons européennes, bien que juridiquement encadrées, n’échappent ni à la négligence ni à la maltraitance systémique. La question se pose donc avec une acuité nouvelle : l’espace carcéral européen est-il, dans sa majorité, structurellement défectueux ? Et les prisonniers y sont-ils, concrètement, mal logés et mal nourris ?
Une condamnation chronique par les instances européennes
Le Conseil de l’Europe, à travers le Comité pour la prévention de la torture (CPT), multiplie les rapports accablants. En 2023, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour des conditions de détention « indignes », en particulier à Fresnes, Nîmes et Bordeaux. La Belgique, l’Italie, la Hongrie et la Grèce ont aussi été épinglées pour surpopulation carcérale, détentions prolongées dans des cellules sans lumière, ou encore défaut d’accès à des soins médicaux élémentaires.
Selon les statistiques du Council of Europe Annual Penal Statistics – SPACE, plus de 20 % des détenus en Europe sont incarcérés dans des établissements au-dessus de leur capacité officielle. Dans certains pays, comme la Roumanie ou la Bulgarie, ce taux grimpe au-delà de 150 %, rendant toute dignité impossible.
L’alimentation : un angle mort du débat public
C’est l’un des tabous du système carcéral : la qualité de la nourriture. En théorie, les standards sont clairs — chaque détenu doit recevoir un apport calorique suffisant, équilibré et culturellement adapté. Dans la pratique, les témoignages et rapports font état de repas industriels pauvres en nutriments, d’une alimentation répétitive, parfois avariée, et d’un accès réduit à l’eau potable dans certains établissements vétustes.
En France, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté notait en 2022 que « l’alimentation est souvent perçue comme punitive » : portions réduites, menus inadaptés, absence de régime spécifique pour des problèmes médicaux ou religieux.
Inégalités profondes au sein du continent
Les prisons scandinaves (Norvège, Suède, Finlande) sont souvent citées en exemple pour leurs modèles de réinsertion, leur approche axée sur la dignité et le lien social. La prison de Halden, en Norvège, ressemble davantage à un campus qu’à un centre de détention. À l’opposé, certains établissements d’Europe de l’Est sont proches de la ruine et peinent à assurer l’hygiène de base.
Mais même dans les pays dits “modèles”, l’augmentation du recours à la détention provisoire, les restrictions budgétaires post-Covid, et la judiciarisation croissante de la vie sociale posent des défis nouveaux.
Une crise éthique avant tout
Au fond, la question des conditions de détention est moins logistique que morale. Que veut dire punir en démocratie ? Que reste-t-il de la dignité humaine derrière les barreaux ? Si la prison n’est pas seulement un lieu de sanction mais aussi un espace de réhabilitation, alors l’indignité des conditions n’est pas une anomalie : elle est une trahison du projet démocratique lui-même.
Réformer le système carcéral suppose de repenser la finalité de l’enfermement. L’Europe n’a pas tant besoin de nouvelles prisons que d’un nouvel imaginaire pénal : où l’on ose croire qu’une société peut se juger à la manière dont elle traite ceux qu’elle exclut