Varsovie – 2025.
Avec 50,89 % des suffrages, Karol Nawrocki, historien de formation et figure conservatrice notoire, est devenu dimanche le nouveau président de la République de Pologne. Un homme peu connu du grand public international, mais dont le nom résonne depuis longtemps dans les cercles intellectuels du pays, où il s’est fait une réputation comme directeur de l’Institut de la Mémoire nationale — laboratoire idéologique du parti Droit et Justice (PiS).
Son élection, d’apparence étroite mais politiquement claire, vient rebattre les cartes d’un paysage polonais fragmenté, où cohabitent aspirations pro-européennes et résurgences souverainistes, mémoire historique et crispations identitaires. Et si l’on devait résumer l’enjeu : la Pologne se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins.
Un président historien, ou un président idéologue ?
Karol Nawrocki n’est pas un tribun charismatique ni un homme de partis. Il est, au fond, un penseur de l’Histoire — mais une Histoire orientée, celle d’un récit national purifié, reconstruit, parfois simplifié. Il s’inscrit dans la lignée d’un conservatisme polonais inquiet du relativisme, viscéralement attaché à la souveraineté, aux valeurs chrétiennes et à la mémoire des martyrs.
Sa vision de la Pologne ? Un pays “debout dans l’Histoire”, vigilant face aux dérives universalistes de Bruxelles, et protecteur d’une identité nationale menacée. Il est, à sa manière, un Tocqueville inversé : là où le penseur français craignait la tyrannie douce de la majorité, Nawrocki redoute la dissolution douce de la nation.
Un contre-pouvoir redoutable face à Donald Tusk
Sur le plan institutionnel, la présidence en Pologne est semi-symbolique mais armée d’un veto. Et c’est ici que commence le théâtre politique. Car face à Nawrocki, le Premier ministre Donald Tusk incarne tout l’inverse : l’ouverture à Bruxelles, le libéralisme modéré, l’État de droit. La confrontation s’annonce frontale.
Les projets de réformes judiciaires, d’avancées sociétales ou de relance budgétaire pourraient se heurter à un président déterminé à jouer la montre, voire à bloquer par principe. Une cohabitation idéologique tendue, où chaque signature de loi pourrait devenir un acte de guerre froide intérieure.
La Pologne, nouvelle Hongrie ?
L’Europe observe. Car si la victoire de Nawrocki ne renverse pas l’exécutif, elle marque un signal d’alerte. Le PiS, après sa défaite aux législatives, reste culturellement très ancré. Et ce retour par la voie présidentielle pourrait annoncer, à moyen terme, une reconfiguration à la Viktor Orbán : pouvoir divisé, mais conservatisme enraciné.
Le risque ? Une Pologne qui, tout en restant formellement membre de l’Union européenne, s’éloigne de ses normes fondamentales : séparation des pouvoirs, liberté académique, pluralisme des mœurs. Une Pologne à deux vitesses : intégrée économiquement, mais rétive juridiquement.
Entre l’Atlantique et l’Est
Nawrocki, comme beaucoup de figures conservatrices d’Europe centrale, regarde davantage vers Washington que vers Strasbourg. Sa proximité idéologique avec Donald Trump, qui l’a félicité dans une déclaration tonitruante, ravive l’axe populiste transatlantique. Mais cette fidélité américaine pourrait s’avérer fragile si elle s’oppose aux intérêts économiques européens dont dépend massivement la Pologne.
Sur le plan géopolitique, en pleine guerre russo-ukrainienne, la posture de fermeté de Nawrocki contre Moscou pourrait rassurer l’OTAN, mais compliquer les dynamiques de coopération avec des partenaires européens plus nuancés. La souveraineté, oui. L’isolement, non.
Un futur tendu, mais éclairant
Alors, quel avenir pour la Pologne ? Ni le chaos, ni l’alignement. Mais un pays fracturé entre deux élans : celui de la modernité européenne et celui d’une fidélité à ses mythes fondateurs. Nawrocki n’est pas une anomalie : il est le produit d’une société tiraillée, d’une histoire non cicatrisée.
Et peut-être est-ce cela, au fond, le cœur du projet qu’il incarne : non pas gouverner, mais résister.