New Delhi – Islamabad — L’image, presque irréelle, a fait le tour des chancelleries : des soldats indiens et pakistanais se saluant cérémonieusement le long de la ligne de contrôle du Cachemire, théâtre de toutes les fractures depuis 1947. Depuis l’accord de cessez-le-feu tacite signé en février 2021, les deux puissances nucléaires de la région, ennemies héréditaires, semblent, en surface, avoir entrouvert la porte d’une désescalade prudente.
Pourtant, sous cette trêve de façade, la réalité demeure complexe, ambivalente, marquée par un legs historique empoisonné, des lignes rouges inchangées et une rhétorique nationaliste de part et d’autre qui continue d’alimenter les fantasmes de revanche. Une paix de vitrine, pour certains observateurs. Une accalmie précieuse, pour d’autres.
Une ligne de cessez-le-feu sous haute tension
Depuis 2021, la ligne de contrôle séparant l’Inde et le Pakistan au Cachemire connaît un calme relatif inédit depuis une décennie. Les échanges de tirs transfrontaliers ont chuté de 80 %, selon les chiffres de l’armée indienne, et les incidents graves sont désormais rares, même si les tensions verbales, elles, n’ont jamais totalement disparu.
Pour les chancelleries occidentales, ce cessez-le-feu constitue un espace fragile mais essentiel dans une région à haut risque, où toute escalade pourrait dégénérer en conflit majeur entre deux puissances nucléaires, désormais soutenues par des alliances géopolitiques complexes : l’Inde regardant vers Washington, tandis que le Pakistan raffermit ses liens avec Pékin.
Un contexte historique empoisonné par la Partition
Derrière cette réalité militaire se cache l’ombre persistante de la Partition de 1947, qui scinda dans la douleur l’Empire britannique des Indes en deux États souverains : l’Inde laïque et le Pakistan musulman. Une blessure fondatrice, jamais totalement refermée, qui nourrit encore aujourd’hui les récits politiques des deux nations.
Depuis, trois guerres, des escarmouches incessantes, des attentats, mais aussi des gestes de rapprochement furtifs ont jalonné une histoire commune faite d’obsessions territoriales et d’identités antagonistes. Le Cachemire, province montagneuse et stratégique, en demeure le cœur incandescent.
Modi, Khan, Sharif : un nationalisme à géométrie variable
Dans ce climat sous tension, le Premier ministre indien Narendra Modi a su, ces dernières années, capitaliser sur un discours nationaliste assumé, faisant du contrôle du Cachemire une pierre angulaire de sa politique intérieure. L’abrogation de l’autonomie du Jammu-et-Cachemire en août 2019 a été saluée par sa base électorale, mais a exacerbé la méfiance pakistanaise.
De l’autre côté, le Pakistan, entre la parenthèse populiste d’Imran Khan et le retour d’un Sharif plus pragmatique, oscille entre provocations rhétoriques et appels au dialogue conditionnel. Islamabad continue de brandir la question cachemirienne dans les forums internationaux, sans toutefois réussir à mobiliser au-delà du soutien traditionnel de la Chine et de quelques États islamiques.
Une paix durable : mirage ou horizon lointain ?
Au fond, la trêve actuelle n’est qu’une pause dans un affrontement aux racines historiques, religieuses et identitaires trop profondes pour être résolues par un simple cessez-le-feu militaire. La multiplication des gestes symboliques — comme les ouvertures de corridors commerciaux limités ou les appels au dialogue bilatéral — masquent mal l’absence d’un processus de paix structuré, crédible et multilatéral.
Dans les cercles diplomatiques européens, on murmure que seul un choc géopolitique majeur — ou un épuisement intérieur des deux régimes — pourrait, à terme, pousser l’Inde et le Pakistan à revisiter réellement les fondations de leur inimitié. Pour l’heure, la paix demeure une posture tactique, un équilibre précaire où chacun regarde l’autre comme un voisin impossible, toléré mais jamais reconnu pleinement.
Dans un monde fracturé, cette “paix négative”, selon la formule chère à Johan Galtung, semble satisfaire les intérêts à court terme. Mais dans les montagnes du Cachemire, le silence des armes n’a jamais totalement effacé le grondement des mémoires meurtries.