Depuis février 2022, la guerre en Ukraine a bouleversé non seulement l’ordre sécuritaire européen, mais aussi les dynamiques géopolitiques mondiales. Parmi les évolutions les plus notables figure le rapprochement stratégique entre Moscou et Pékin. Cette relation, bien que déjà en développement avant l’invasion, s’est renforcée sur plusieurs axes : économique, diplomatique, énergétique et militaire. Cependant, derrière les apparences d’une alliance « sans limites », les intérêts chinois et russes restent parfois divergents.
Un partenariat asymétrique renforcé
Avant même le début de la guerre, Vladimir Poutine et Xi Jinping avaient affirmé une coopération « sans frontières ». Depuis, Pékin a évité de condamner explicitement l’invasion tout en s’abstenant de livrer une aide militaire directe à la Russie. En revanche, la Chine est devenue un partenaire économique central pour Moscou. Face aux sanctions occidentales, la Russie a redirigé ses exportations énergétiques vers l’Est. En 2023, la Chine a importé plus de pétrole, de gaz et de charbon russes que jamais, souvent à prix réduits.
Cela profite à Pékin qui sécurise ainsi son approvisionnement énergétique et renforce son influence en Asie centrale, un espace historiquement disputé avec Moscou. La Chine fournit également des composants électroniques et du matériel dual-use, sans toutefois franchir la ligne rouge d’un soutien militaire offensif, de peur de provoquer une escalade avec l’Occident.
La Russie : partenaire affaibli mais utile
La guerre a considérablement affaibli la position de la Russie sur la scène internationale. Isolée par les sanctions, elle devient de plus en plus dépendante de la Chine. Moscou n’a guère le choix : la Chine est devenue le principal acheteur de son énergie, le fournisseur majeur de biens technologiques, et un appui politique partiel au sein des institutions internationales (notamment au Conseil de sécurité de l’ONU).
Mais cette dépendance transforme la relation bilatérale. La Russie devient le « junior partner » d’une Chine plus puissante économiquement et diplomatiquement. Pékin exploite cette asymétrie sans s’engager pleinement aux côtés de Moscou, adoptant une posture pragmatique. Elle défend le principe de non-ingérence, critique l’OTAN, mais appelle aussi au respect de la souveraineté des États, ce qui crée une tension rhétorique.
Les ambitions chinoises : prudence et calcul
La Chine ne soutient pas la guerre de manière directe, car elle y voit un facteur de déstabilisation des marchés et un obstacle à son objectif : devenir une puissance responsable et incontournable à l’échelle mondiale. Xi Jinping souhaite éviter un affrontement direct avec l’Europe ou les États-Unis, et cherche à maintenir de bonnes relations commerciales tout en affirmant ses intérêts géopolitiques.
Sur le plan diplomatique, Pékin tente de se positionner comme médiateur. Le « plan de paix » chinois présenté en février 2023 n’a pas trouvé d’écho à Kyiv ni à Washington, mais il témoigne de la volonté de la Chine de jouer un rôle de stabilisateur tout en ménageant la Russie. Ce positionnement ambigu est une manière pour la Chine de consolider sa posture internationale sans se compromettre.
Des limites et des incertitudes
Malgré le rapprochement, cette coopération russo-chinoise reste fragile. Elle repose davantage sur des intérêts communs à court terme que sur une vision partagée du monde. Pékin et Moscou ont des objectifs stratégiques différents : la Chine veut préserver l’ordre mondial pour y accroître son influence, tandis que la Russie cherche à le bouleverser pour restaurer sa puissance passée.
De plus, la Russie voit avec inquiétude l’expansion économique de la Chine en Asie centrale, dans le Caucase et même en Arctique, des zones historiquement sous son influence. À long terme, Moscou pourrait craindre une forme de vassalisation. De son côté, Pékin se méfie de l’imprévisibilité du régime russe et de l’impact négatif d’une guerre prolongée sur ses propres ambitions commerciales et diplomatiques.
Conclusion : une alliance tactique plus qu’un véritable pacte
La guerre en Ukraine a indéniablement renforcé les liens entre la Russie et la Chine, mais ce rapprochement est marqué par la prudence, l’asymétrie et le réalisme stratégique. Pékin tire profit de l’affaiblissement de Moscou sans pour autant s’aligner pleinement sur sa politique. Ce partenariat de circonstance pourrait évoluer selon l’issue du conflit, la pression occidentale, ou les intérêts économiques chinois.
L’avenir des relations russo-chinoises dépendra en grande partie de l’évolution de la guerre en Ukraine et de la capacité de la Russie à rester un acteur influent. Pour l’instant, la Chine semble vouloir jouer sur deux tableaux : s’imposer comme puissance responsable tout en consolidant ses liens avec une Russie affaiblie mais toujours utile.