Washington — Un coquillage posé sur le sable, banal souvenir d’une promenade côtière ? À première vue, la photographie publiée sur les réseaux sociaux par James Comey, ancien directeur du FBI, aurait pu passer inaperçue, noyée dans l’infinité des images estivales que produisent les personnalités publiques américaines en quête de légèreté calculée.
Mais dans l’Amérique contemporaine, où la polarisation a transformé chaque symbole en arme de guerre culturelle, la publication a fait l’effet d’une provocation déguisée : le cliché, qui montre deux coquillages formant ostensiblement les chiffres “86 47”, a été interprété comme un appel codé à l’élimination de Donald Trump, 47e président des États-Unis.
Une controverse immédiate, nourrie par les sphères trumpistes, qui y voient une menace de mort voilée, orchestrée par l’un des ennemis jurés de l’ex-président. Pour les démocrates et les cercles progressistes, il ne s’agirait que d’un trait d’humour crypté, dans la tradition potache des messages indirects destinés à agiter les obsessions paranoïaques de la droite trumpienne.
Quand le symbole devient arme politique
Aux États-Unis, le chiffre 86 est un code populaire issu de l’argot militaire et des milieux de la restauration, signifiant “éliminer”, “se débarrasser de”. Associé au chiffre 47 — désormais inséparable de Donald Trump, 47e président américain — la photo de James Comey semble bel et bien, à tout le moins, ironiser sur le désir d’en finir avec le trumpisme.
Le tout est soigneusement dénué de mots explicites, mais suffisamment suggestif pour embraser les réseaux sociaux, où la droite américaine crie au scandale et accuse l’ancien patron du FBI d’incitation à la violence politique.
Pour rappel, James Comey avait été limogé brutalement par Donald Trump en 2017, dans ce qui reste l’un des épisodes les plus controversés de l’ère Trump, alors même que le FBI enquêtait sur les interférences russes dans l’élection présidentielle. Depuis, l’homme, longtemps perçu comme une figure de la modération républicaine, s’est mué en critique acerbe de l’ex-président, cultivant, avec une ironie glacée, une posture de sage désabusé du système.
Une Amérique où la provocation est devenue méthode
Au fond, cette controverse est moins le reflet d’une menace réelle que l’illustration d’une Amérique désormais piégée dans ses propres codes symboliques, où la moindre image, le moindre chiffre, devient support à interprétation paranoïaque ou sarcastique. James Comey, fin connaisseur des arcanes du pouvoir et des réseaux sociaux, savait sans doute pertinemment que son cliché susciterait cette réaction en chaîne.
Un jeu dangereux, diront certains, dans un climat politique où les menaces de mort, les intimidations et les violences verbales sont désormais monnaie courante de part et d’autre du spectre politique. Dans cette Amérique au bord de la crise de nerfs, le champ lexical militaire s’invite dans les échanges culturels, et le coquillage devient projectile symbolique.
Une rhétorique qui fragilise encore l’espace public
Les partisans de Trump dénoncent, dans cette affaire, la double morale d’une gauche qui se veut vertueuse mais s’autorise toutes les outrances dès qu’il s’agit de frapper l’ancien président. Du côté démocrate, on minimise, évoquant un clin d’œil ironique, un message codé sans conséquence réelle.
Mais dans les cercles plus intellectuels, certains s’inquiètent de cette spirale où les métaphores remplacent les discours, où l’imaginaire mafieux contamine les conversations publiques, et où les institutions se trouvent minées par cette culture du sous-entendu vengeur.
Comey, que l’on disait homme de rigueur et de retenue, aurait-il cédé aux sirènes d’un humour corrosif devenu toxique dans l’Amérique de 2025 ? Dans un pays où tout symbole est désormais explosif, le coquillage de Comey aura au moins prouvé une chose : l’Amérique est entrée dans une ère où l’on s’affronte à coups d’énigmes et de hashtags, dans un théâtre d’ombres où le politique vire au performatif, et où la guerre des chiffres remplace celle des idées