Dans un pays où la démocratie se conjugue volontiers avec l’exception, la peine de mort continue de tracer son sillon. Depuis le début de l’année, 24 exécutions ont été menées aux États-Unis. La dernière en date, celle de Thomas Gudinas, 51 ans, en Floride, a été suivie de près par celle de Richard Jordan, 79 ans, dans le Mississippi. Deux hommes, deux vies, deux États. Un même rituel : une fin décidée par l’État, légale, chirurgicale, presque bureaucratique.
La majorité de ces exécutions – 19 sur 24 – a été effectuée par injection létale, méthode désormais banalisée dans l’imaginaire américain comme une manière douce de rendre la justice irrévocable. Trois autres ont eu recours à une méthode plus récente, plus opaque, et plus inquiétante : l’inhalation d’azote, censée provoquer une hypoxie létale. Le procédé, présenté par certains États comme plus « humain », est fermement critiqué par les Nations unies, qui y voient une forme de torture. L’odeur d’euphémisme qui entoure cette innovation pénale ne parvient pas à masquer sa brutalité.
Le contraste est saisissant : alors que l’Europe, dans son ensemble, a depuis longtemps aboli la peine capitale, les États-Unis s’y accrochent comme à un vestige d’autorité, souvent au nom de la justice des victimes, parfois au nom d’un ordre social plus abstrait. Dans les faits, seuls quelques États du Sud concentrent encore la majorité des exécutions – le Mississippi, la Floride, le Texas… Autant de territoires où la peine de mort relève autant du symbole que de la sentence.
Ce retour en force des exécutions, en particulier depuis janvier, n’est pas anodin. Il coïncide avec une polarisation croissante du débat public, une méfiance envers les élites juridiques fédérales, et une montée de l’idéologie sécuritaire dans certains États conservateurs. Loin d’être un outil de dissuasion efficace – les études le démontrent depuis des décennies – la peine capitale s’affirme ici comme une mise en scène politique : celle d’un pouvoir qui montre qu’il tient encore quelque chose en main, fût-ce la vie d’un homme.
Richard Jordan avait 79 ans. Il était, selon ses avocats, le plus vieux condamné à mort des États-Unis. Que signifie une exécution à cet âge ? Un châtiment ? Une absurdité ? Ou un aveu d’impuissance d’un système qui préfère tuer que réfléchir à sa propre faillite pénitentiaire ?
L’ONU, sans surprise, condamne. Mais l’Amérique reste divisée. Certains voient dans chaque injection, chaque inhalation, la victoire d’un ordre. D’autres, un naufrage éthique. Entre les deux, la société regarde, souvent en silence. Comme si, à force de rendre la mort légale, elle avait fini par l’accepter comme inévitable.
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