Il y a dans les campagnes électorales récentes des partis d’extrême droite en Europe un usage nouveau des mots : on y parle désormais de « bon sens », de « fierté nationale », de « reconquête » culturelle. Les crânes rasés ont cédé la place aux costumes bien taillés, les slogans rageurs aux discours technocratisés. L’extrême droite n’est plus en marge : elle est dans les parlements, dans les coalitions, dans les studios de télévision. Et pourtant, derrière le masque poli, la vieille haine ne désarme pas.
La montée électorale du Rassemblement national en France, de l’AfD en Allemagne, de Vox en Espagne ou encore des Fratelli d’Italia renvoie moins à une adhésion de masse à un programme qu’à une fatigue démocratique, un repli identitaire alimenté par la peur – peur de l’autre, de l’avenir, de la perte. Dans ce contexte, les discours de haine, jadis disqualifiés, retrouvent une forme d’acceptabilité. Les agressions racistes, les violences envers les personnes LGBTQIA+, les intimidations dans les universités ou les centres d’accueil se multiplient, souvent dans l’indifférence générale.
Il ne s’agit pas là de cas isolés, mais d’un climat. Un climat où les mots blessent, où les regards contrôlent, où les réseaux sociaux s’érigent en tribunaux de la pureté nationale. Derrière chaque appel à « défendre nos racines » se cache souvent le rejet de ceux qui ne cadrent pas avec l’imaginaire ethnique dominant. Derrière chaque injonction à « restaurer l’ordre » se niche l’idée d’un ennemi intérieur à neutraliser. Et derrière chaque succès électoral, une légitimation implicite des violences qui en découlent.
Les démocraties libérales européennes, trop sûres de leur solidité, peinent à répondre. Le consensus humaniste, hérité de l’après-guerre, se fissure sous les coups répétés d’une droite extrême qui sait manier l’euphémisme et la peur avec une virtuosité glaçante. Le danger n’est plus à venir : il est déjà là, tapi dans les urnes et les forums, prêt à se draper dans les institutions pour mieux les détourner.
Reste à savoir si l’Europe saura opposer à cette montée un récit plus fort que celui de l’exclusion. Un récit de dignité, de mémoire, de courage politique. Car au fond, la question n’est pas seulement celle du rejet de l’extrême droite, mais de ce que nous sommes encore prêts à défendre au nom de la civilisation.