Dans une époque marquée par le vacillement des repères, la justice reste, pour beaucoup, le dernier refuge des idéaux. L’Europe, à travers plusieurs pays, continue d’en porter la promesse : celle d’un droit sans frontières, au nom d’une humanité commune. Mais cette promesse est-elle toujours tenue ?
L’Allemagne, avant-garde judiciaire
Au cœur de cette Europe judiciaire, l’Allemagne s’est affirmée comme pionnière. Depuis plusieurs années, ses tribunaux condamnent des criminels de guerre syriens et irakiens ayant trouvé refuge sur son territoire. En 2021, un ancien agent du régime syrien a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité — une première mondiale. Le pays agit au nom du principe de compétence universelle, qui permet de poursuivre les auteurs de crimes les plus graves, indépendamment du lieu où ils ont été commis.
La France, mémoire et reconnaissance
La France, elle aussi, a vu ses tribunaux s’emparer de cette mission morale. Des Rwandais impliqués dans le génocide de 1994 ont été jugés après avoir été identifiés sur le sol français. Des survivants, des voisins, des anonymes, ont permis que la mémoire se transforme en procédure. Plus tôt, dans les années 1980, les procès des criminels nazis comme Klaus Barbie rappelaient que l’oubli n’était pas une option.
Et pourtant, le silence de La Haye…
Face à ces exemples, une question s’impose avec une insistance douloureuse : pourquoi certains échappent-ils à cette mécanique judiciaire ? Pourquoi, en 2025, Bachar el-Assad, président syrien accusé de massacres, de bombardements chimiques et de disparitions massives, vit-il toujours, protégé, sur le territoire russe ? Pourquoi la Cour pénale internationale (CPI), dont le siège est à La Haye, peine-t-elle à faire entendre sa voix ?
En théorie, la CPI peut juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides. Mais en pratique, sa main est souvent liée : par les limites de ses compétences, par l’absence de coopération de certains États (comme la Syrie ou la Russie), par les jeux géopolitiques qui neutralisent toute volonté.
Une justice à géométrie variable ?
Ce constat dérange. Il dit que la justice internationale reste incomplète, partielle, parfois impuissante. Que son efficacité dépend souvent du hasard d’un exil mal préparé, d’une reconnaissance fortuite, ou de la volonté politique d’un État hôte. Il dit que certains dictateurs, s’ils sont bien entourés, peuvent continuer à dîner en paix pendant que les victimes pansent des plaies invisibles.
Et pourtant, il ne s’agit pas de désespérer. Chaque procès intenté à un bourreau est une brèche dans l’impunité. Chaque témoin entendu est une victoire contre l’effacement. Mais tant que certains protégés d’un monde multipolaire peuvent se soustraire au droit, le combat pour une justice universelle reste inachevé.
Alors oui, le principe fonctionne. Parfois. Lentement. Mais pas pour tout le monde. Et c’est bien cela qui doit nous révolter.