Claudia Cardinale vient de disparaître à 87 ans, dans sa maison de Nemours. Et avec elle, c’est une certaine idée du cinéma européen qui s’éloigne, celle d’une époque où l’on croyait encore que la beauté pouvait réconcilier les continents, que la sensualité n’était pas un vain mot, et que l’engagement n’était pas une concession médiatique mais une fidélité à soi.
Née à Tunis en 1938, fille d’un ingénieur des chemins de fer et petite-fille de Siciliens, Claude Joséphine Rose Cardinale incarnait d’emblée une Méditerranée indomptée, solaire, farouche, presque enfant sauvage. Le destin, pourtant, la plaça rapidement dans les filets d’une industrie qui fit d’elle l’une des icônes les plus désirées du XXe siècle. Visconti, Fellini, Leone – autant de metteurs en scène qui virent dans son regard noir et ses lèvres fières la possibilité d’un mythe. Elle fut à la fois « la fiancée de l’Italie » et la passante universelle des rêves cinéphiles.
Comment oublier son apparition dans Il était une fois dans l’Ouest ? Une robe à dentelles battue par le vent, un chignon indocile, et la musique de Morricone qui soudain devenait chair. Claudia Cardinale n’entrait pas en scène : elle instaurait une civilisation. Leone la voulait déesse, elle se contentait d’être femme – mais quelle femme. Même face à la tornade Bardot dans Les Pétroleuses, elle imposait ce mélange rare de sensualité tranquille et de dignité altière qui faisait toute sa singularité.
Sa carrière, elle la mena comme une conquête. Victime au départ d’un monde brutal, elle termina en triomphatrice, collectionnant les rôles aux côtés de Burt Lancaster, Alain Delon, Henry Fonda ou Marcello Mastroianni, sans jamais se réduire à « la belle partenaire ». Son sourire éclipsait les conventions, ses rides devinrent ses alliées – « Visconti m’a appris à les aimer », confiait-elle.
Mais Cardinale fut plus qu’une actrice. Présidente du comité pour la panthéonisation de George Sand à la demande de Jacques Chirac, militante infatigable auprès de l’UNESCO, ambassadrice des causes oubliées – de la lutte contre le sida aux violences faites aux femmes – elle aura défendu une idée exigeante de l’art et de la vie. Son amitié avec Rock Hudson, qu’elle accompagnait bras dessus bras dessous dans un Paris encore hostile aux amours homosexuelles, dit assez sa liberté et sa fidélité.
En 2017, Cannes avait choisi une photographie d’elle, dansant sur un toit romain, pour célébrer ses 70 ans. L’image résumait tout : la joie, l’audace, l’élégance. En 2023, sa fondation est née pour tendre la main aux jeunes artistes. Car Claudia Cardinale, loin des vanités de l’industrie, croyait encore à la transmission.
Elle n’aura jamais cédé au scalpel, ni aux illusions de la chirurgie. Le cinéma, semblait-elle dire, n’avait pas besoin de visages éternels : il avait besoin de vérités incarnées. La sienne fut éclatante. Et ce soir, le rideau tombe sur une légende dont les yeux, plus que sensuels, auront été une manière de civilisation.
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