Depuis le début de l’année, les flots de départ vers l’Europe reprennent une route familière, et dramatique. La Libye, pays meurtri par une décennie de guerre civile, redevient le principal point de départ des migrants vers les côtes européennes. Selon les données collectées par les agences humanitaires et les garde-côtes, 24 583 personnes ont quitté les rives libyennes depuis janvier 2025. Un chiffre en nette hausse, qui reflète une dynamique migratoire à la fois ancienne et recomposée.
Ce sont principalement des ressortissants bangladais, mais aussi des personnes originaires d’Afrique de l’Ouest, notamment du Mali, qui empruntent à nouveau cette route. Longtemps, ces populations avaient privilégié les chemins passant par le Maroc ou la Mauritanie pour atteindre les îles Canaries, mais ces itinéraires se sont taris. Désormais, c’est le littoral libyen, chaotique et sous contrôle de milices rivales, qui reprend sa place au cœur des flux migratoires.
Le retour d’un “hub” mortifère
Ce retour de la Libye comme hub migratoire n’est pas anodin. Il est le symptôme d’un système à bout de souffle. Les camps de détention, souvent dirigés par des groupes armés, regorgent de récits de torture, d’extorsion, de travail forcé. Pour de nombreux migrants, la traversée de la Méditerranée centrale reste malgré tout préférable à l’enfer terrestre qu’ils fuient.
« Je viens de Bamako, mais j’ai traversé le Niger, puis j’ai attendu des mois à Sebha. J’ai été battu, volé, enfermé. Mais je n’avais pas le choix », confie Ismaël, un Malien de 28 ans, rencontré à Lampedusa après son sauvetage en mer. Comme beaucoup, il espère rejoindre l’Allemagne ou la Belgique, où vit déjà une partie de sa famille.
Une Europe sur la défensive
Face à ce regain de départs, les pays européens s’alarment, mais semblent répéter les mêmes erreurs. Plutôt que de renforcer les voies d’immigration légale ou les dispositifs de protection, Bruxelles multiplie les accords avec des États faillis ou autoritaires. Une stratégie court-termiste, qui délègue à des régimes instables le soin de « gérer » les migrations.
En Libye, les garde-côtes sont régulièrement accusés de violences et de renvois illégaux en détention. « L’Europe finance des milices pour empêcher les départs, tout en fermant les yeux sur leurs pratiques », dénonce une travailleuse humanitaire basée à Tripoli. Le jeu diplomatique, cynique, laisse peu de place à la dignité humaine.
Des itinéraires dictés par les fractures du monde
Cette reconfiguration des routes migratoires illustre un déséquilibre plus large. À mesure que les conflits s’intensifient, que le climat se détraque et que les perspectives économiques s’effondrent au Sud, la tentation du départ devient vitale. Du Bangladesh au Mali, des milliers de personnes affrontent la traversée du Sahara, puis celle de la Méditerranée, avec pour seul bagage l’espoir d’une vie possible.
Mais l’Europe, elle, continue d’ériger des murs : juridiques, diplomatiques, symboliques. Et dans ce théâtre cruel, la Libye, pays-pivot d’une tragédie sans fin, devient à nouveau la scène d’un exil sans spectateurs.