Lorsque l’on tape « Kazakhstan » sur Google, des nouvelles assez positives apparaissent. Kairat Almaty, l’OVNI du Kazakhstan qui défie l’Europe, écrivent des journaux belges comme Sudinfo ou Le Soir. Le Kazakhstan diversifie ses exportations de pétrole, écrit Business AM. Tokayev présente sa feuille de route numérique, écrit Euractiv. Euronews, quant à lui, évoque l’histoire spatiale du pays. Voilà ce que l’on peut lire dans certains journaux internationaux ces derniers jours à propos du Kazakhstan.
Il y a déjà dix ans, un journal francophone écrivait l’article suivant : « Le Kazakhstan, une puissance régionale à vocation mondiale », par Boulègue, M. (octobre 2015). L’auteur français Maxime Onfray, quant à lui, écrivait que le Kazakhstan est le moteur de l’Asie centrale.
Le Kazakhstan connaît un changement spectaculaire, un développement que nous, experts en relations internationales, avons du mal à suivre. Le pays développe à la fois son hard power (notamment sa croissance économique impressionnante) et son soft power (la musique kazakhe séduit le public européen, dont les Belges, notamment avec Dimash et la chanson Zhurek d’Adam).
Il est intéressant d’étudier ce pays, qui devient un moyen pouvoir influent en diplomatie et un pont entre continents et cultures. Depuis la guerre russo-ukrainienne, l’UE se tourne vers de nouveaux partenaires, et surtout vers le Kazakhstan. En effet, le pays se positionne comme une alternative à la Russie pour l’Europe. Le 29 mai dernier, lors de l’AIF (Astana International Forum), Giorgia Meloni, à l’ouverture de la session plénière après une visite officielle en Ouzbékistan, a noté que le Kazakhstan est un « lien pivot entre les continents dans un monde de plus en plus interconnecté » et a souligné que « le corridor transcaspien joue un rôle prometteur dans les infrastructures numériques et physiques », ajoutant qu’il s’agit d’« un partenaire très important, tant pour l’Italie que pour l’Europe ».
Kazakhstan, pays de la politique multivectorielle et exemplaire
La politique étrangère multivectorielle repose sur le concept de développement de « relations amicales et prévisibles avec tous les États » tout en jouant un « rôle important dans les affaires mondiales » afin de protéger les intérêts du Kazakhstan. Aujourd’hui, la plus grande des cinq républiques d’Asie centrale entretient des relations amicales avec l’Europe, la Chine, les pays d’Asie centrale, les États-Unis, le Moyen-Orient, le Pakistan, la Turquie… tout en diversifiant ses relais d’influence internationaux.
Lors de l’AIF, le président kazakh Kassym-Jomart Tokayev avait déclaré que le multilatéralisme permettrait la coopération dans un monde où le protectionnisme augmente. Il a expliqué que la politique du Kazakhstan se structure ainsi : « L’unité dans la diversité ».
Depuis l’arrivée de Kassym-Jomart Tokayev à la présidence en 2019, le Kazakhstan s’est engagé dans une stratégie de « souveraineté ouverte ». Il refuse les logiques de blocs et se positionne comme médiateur actif, d’abord entre ses voisins, mais aussi entre puissances moyennes et grandes puissances (Le Gal de Kerangal, A., 4 juin 2025).
Kazakhstan : une diplomatie proactive
Le Kazakhstan commence à s’imposer comme puissance pivot. Depuis Bruxelles, on observe que le pays mise sur le développement des corridors de transport transcaspien, la construction d’un réseau multimodal connecté, tout en participant activement aux initiatives climatiques et énergétiques mondiales.
J’ai eu la chance de participer à deux forums internationaux organisés par Astana cette année : le Central Asia Media Forum et l’Astana International Forum. Le Kazakhstan est devenu un initiateur d’une nouvelle forme de dialogue diplomatique, incarnée par le Forum international d’Astana, qui lui permet de consolider sa position sur l’échiquier mondial.
Sur le plan diplomatique, la volonté du Kazakhstan de gérer ses relations avec toutes les grandes puissances l’a conduit à jouer un rôle de médiateur dans les conflits internationaux, notamment le processus d’Astana sur la Syrie, qui a tenu son 21e cycle de négociations en janvier.
Depuis son indépendance, le Kazakhstan a consacré des centaines de millions de dollars à l’aide humanitaire et au développement via l’Agence kazakhe de développement international (KazAID). Rien qu’en 2022, KazAID a contribué à plus de 36 millions de dollars d’aide au développement.
Le pays mène une diplomatie positive et inclusive : allié stratégique de l’Europe et de la Chine, membre de plusieurs organisations internationales majeures telles que l’Organisation de coopération de Shanghai, l’Organisation des États turciques, l’Organisation islamique pour la sécurité alimentaire… (Donnellon-May, G., 6 mars 2024).
Au sein de l’Organisation des États turciques, le Kazakhstan joue un rôle actif, notamment à travers son engagement dans le Turkic World Vision 2040, un cadre de coopération visant à renforcer les liens économiques et énergétiques entre les États turcophones.
Le Kazakhstan se fait également entendre par ses ambitions dans la lutte contre le réchauffement climatique et ses mouvements anti-nucléaires. Par exemple, le pays a lancé avec la France un One Water Summit, qui s’est tenu en septembre 2024 à New York, à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Enfin, le Kazakhstan exerce un rôle de médiateur, que ce soit via le « format d’Astana sur la Syrie » (Russie, Turquie, Iran) ou l’accueil des discussions Arménie-Azerbaïdjan au printemps 2024. Le pays est multiethnique et multi-confessionnel, ce qui constitue une richesse. Chaque 1er mai, le Kazakhstan célèbre le Jour de l’unité des peuples.
Le pays a également réagi efficacement et solidairement au crash, le 25 décembre, d’un avion de ligne azerbaïdjanais à Aktau, dans la région de Mangystau, qui a tué 38 passagers, dont six citoyens kazakhs (Uriarte Sánchez, C., 20 janvier 2025). Une commission gouvernementale a été mise en place, incluant 17 experts internationaux, dont des représentants de l’OACI et du Comité inter-états de l’aviation. Les boîtes noires ont été envoyées au Brésil, où l’avion avait été fabriqué, pour garantir l’impartialité et l’objectivité de l’enquête.
Kazakhstan : nouveau middle power
« Kazakhstan, puissance moyenne, géant en devenir ? » : tel est le titre de la dernière Note stratégique de l’Institut Choiseul.
Michel Duclos (9 août 2024) explique que le Kazakhstan doit être considéré comme une puissance moyenne pour plusieurs raisons :
- Son immense territoire (9e plus grand du monde)
- Sa position géographique, au carrefour entre la Chine et l’Europe
Marie Dumoulin, diplomate experte de la région et directrice de programme à l’ECFR, ajoute que le Kazakhstan se classe parmi les puissances moyennes grâce à sa volonté de mettre en œuvre un agenda de politique étrangère global, notamment sur le climat et l’environnement.
Le concept de middle power est aussi ancien que les relations internationales modernes. Il est apparu en Italie au XVIe siècle, où de petits États comme Venise occupaient des positions intermédiaires entre les grandes puissances, telles que les Ottomans et les Habsbourg (Baç, 2017). Les chercheurs ont tenté de distinguer les pays émergents des puissances moyennes traditionnelles (Bakhtiyarova & Avcu, 2022).
Les middle powers seront des leviers dans un ordre international en recomposition.
« Alors que les grandes puissances vacillent et qu’un nouvel ordre mondial émerge, les puissances moyennes évoluent et offrent de nouvelles opportunités stratégiques », écrit Zajmi, X. (2 juin 2025, Euractiv).
Le Kazakhstan se positionne au cœur de cet ordre multipolaire émergent. Lors de l’AIF, le président Kassym-Jomart Tokayev a réaffirmé l’engagement du pays envers le multilatéralisme et la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, soulignant le rôle croissant des puissances moyennes dans le maintien de la paix et de la stabilité mondiales.
« Le multilatéralisme est en panne », a averti Tokayev, soulignant la paralysie actuelle des institutions internationales établies. « Les puissances moyennes doivent unir leurs efforts pour rendre l’ONU plus équitable. »
Condoleezza Rice, ancienne secrétaire d’État américaine, avait déjà noté lors d’une visite officielle : « Le Kazakhstan est un leader régional depuis les premiers jours de son indépendance » (2005). Après l’indépendance, au bord du chaos géopolitique, ce petit pays est devenu une puissance moyenne émergente, de plus en plus visible sur la scène mondiale.
Le Kazakhstan se distingue par :
i) son autorité diplomatique
ii) son intégration élevée dans les organisations internationales
iii) son aide humanitaire aux pays dans le besoin
Même s’il ne possède pas les capacités économiques et militaires des grandes puissances, le pays contribue au maintien de la paix dans des régions éloignées (Nurshayeva, 2013).
Asie centrale : nouvelles lignes de force
Pendant deux jours, Astana a accueilli plus de 5 000 participants de plus de 70 pays lors du second Forum international d’Astana (29-30 mai 2025), incluant responsables publics, chefs d’entreprise, universitaires et dirigeants politiques (Le Gal de Kerangal, Axelle).
Croissance économique
Depuis l’arrivée de Tokayev en 2019, le Kazakhstan connaît une dynamique de croissance.
En 2024 :
- Modernisation des services publics et infrastructures dans toutes les régions
- 18 millions de m² de logements construits
- 7 000 km de routes construites ou rénovées
- Nouveaux terminaux aéroportuaires à Almaty, Kyzylorda et Shymkent
- Projets dans les industries pétrochimique, métallurgique et minière (Uriarte Sánchez, C., 20 janvier 2025)
Le pays diversifie son économie pour réduire sa dépendance au pétrole et au gaz. Aujourd’hui, son PIB représente 50 % du PIB de l’Asie centrale, le plaçant au premier rang régional.
Lorot et Verlyck (Choiseul) qualifient le Kazakhstan de hub économique en pleine modernisation, engagé dans un cycle accéléré de réformes et de modernisation.
L’UE est devenue un partenaire économique important, attirant 70 % des flux d’IDE vers l’Asie centrale. Le commerce extérieur en 2023 s’élevait à 139,8 milliards de dollars, dont 78,7 milliards d’exportations (pétrole 53,8 %, uranium 4,4 %, cuivre 4,1 %).
Le Kazakhstan détient plus de 40 % de l’uranium mondial et produit plus de la moitié des 34 matières premières stratégiques. La croissance soutenue (4,8 % en 2024, projection 5,4 % en 2025) et la stabilité politique ont attiré 63 % des IDE régionaux en 2024, soit 17 milliards sur 27 milliards.
Le pays devient stratégique pour l’approvisionnement en métaux rares, essentiels à la transition énergétique, aux technologies numériques, à la défense et à l’aérospatiale. 16 des 22 matériaux critiques ont un fort potentiel géologique au Kazakhstan.
Le secteur agricole a également été modernisé, avec une récolte record de près de 27 millions de tonnes de céréales sur dix ans.
Position centrale et corridors de transport
Le Kazakhstan concentre près de 80 % du fret ferroviaire transitant par le Corridor du Milieu entre la Chine et l’Europe (+62 % entre 2023 et 2024).
Grâce à la Belt and Road Initiative, au portail mondial de l’UE et à la TITR, il est devenu un maillon essentiel des réseaux logistiques et commerciaux.
En 2023 :
- 22,5 millions de tonnes de fret (+19 %)
- Transport de conteneurs +15 %
- Transit attendu à 35 millions de tonnes d’ici 2029
Kazakhstan : moteur de la démocratisation en Asie centrale
Le pays progresse sur la transparence, les droits humains et l’État de droit, comme le montrent les enquêtes sur les événements de janvier 2022 (Qantar).
- Présidence limitée à un mandat de 7 ans
- Parlement ouvert à de nouvelles forces politiques
- Adoption de nouvelles lois (protection des femmes et des enfants, système d’épargne volontaire Keleshek)
Le 8 septembre 2025, Tokayev a proposé la réforme du parlement en chambre unique, pouvant être soumise à référendum en 2027. Il ne se représentera pas à la prochaine élection présidentielle, renforçant son engagement pour le renouvellement politique et institutionnel.
Cette réforme vise à rendre le système législatif plus efficace et inclusif, en s’inspirant de modèles internationaux, avec transparence et participation publique.
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Bibliographie
Bakhtiyarova, A., & Avcu, S. A. (2022). Middle power behavior during the transition in world order: the case of Kazakhstan. Вестник КазНУ. Серия международные отношения и международное право, 97(1), 52-62.
Choiseul Magazine, (October 2024). Le Kazakhstan, porte d’entrée sur l’Asie centrale et géant en devenir. Choiseul Magazine. https://www.choiseul-magazine.fr/2024/10/18/le-kazakhstan-porte-dentree-sur-lasie-centrale-et-geant-en-devenir/
Boulègue, M. (2015, octobre). Le Kazakhstan, une puissance régionale à vocation mondiale. Revue Études. https://www.revue-etudes.com/article/le-kazakhstan-une-puissance-regionale-a-vocation-mondiale/17092
Donnellon-May, G. (2024, 6 mars). L’émergence du Kazakhstan en tant que puissance moyenne et ses implications pour les relations occidentales. EU Reporter. https://fr.eureporter.co/featured/2024/03/06/kazakhstans-emergence-as-a-middle-power-and-implications-for-western-relations/
Duclos, M. (2024, 9 août). [Moyennes puissances] – À l’ombre de l’Arabie Saoudite et du Kazakhstan. Institut Montaigne. https://www.institutmontaigne.org/expressions/moyennes-puissances-lombre-de-larabie-saoudite-et-du-kazakhstan
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EUREFLECT (2025- Kazakhstan rising in a multipolar world – https://eureflect.com
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Uriarte Sánchez, C. (2025, 20 janvier). Perspectives du Kazakhstan à l’horizon 2025 : renforcer l’économie, souveraineté et position extérieure. Atalayar. https://www.atalayar.com/fr/opinion/carlos-uriarte-sanchez/perspectives-du-kazakhstan-lhorizon-2025-renforcer-leconomie-souverainete-et-position-exterieure/20250120170000210069.html Zajmi, X. (2025, 2 juin). Kazakhstan is positioning as a ‘middle power’ with global ambitions. Euractiv. https://www.euractiv.com/section/politics/news/kazakhstan-is-positioning-as-a-middle-power-with-global-ambitions/
Passaglia, P. (2018). Unicameralism, bicameralism, multicameralism: Evolution and trends in Europe. Perspectives on Federalism, 10(2), 1-29.
Kazakhstan rising in a multipolar world – https://eureflect.com