Palm Beach — Mar-a-Lago — C’était censé être un dîner discret, réservé à une poignée d’invités triés sur le volet. Mais dans une époque où tout fuit et tout s’expose, la rencontre entre Donald Trump et plusieurs figures majeures de l’univers des crypto-monnaies, organisée la semaine dernière dans les salons dorés de Mar-a-Lago, n’est pas passée inaperçue.
À la table de l’ancien président : des entrepreneurs anonymes devenus milliardaires en quelques mois, des spéculateurs d’un genre nouveau, et surtout, les investisseurs privés de la “Trump Coin”, une cryptomonnaie récemment adossée à l’image de l’ancien locataire de la Maison-Blanche.
Une image surgit : celle d’un ex-chef d’État, en campagne permanente, courtisant les élites de la richesse déterritorialisée. Et une question s’impose : Donald Trump est-il désormais l’homme-lige des nouveaux seigneurs du numérique financier ?
Une opération de séduction ciblée : le soft power des blockchains
Depuis son retour sur le devant de la scène, Trump n’a jamais caché sa fascination pour les entrepreneurs “self-made” et les figures anti-système, à condition qu’elles soient fortunées. Les cryptomonnaies cochent toutes les cases de son imaginaire politique : dérégulation, rapidité, défi à l’État, récit d’ascension fulgurante.
Le dîner de Mar-a-Lago avait tout du pacte implicite : à ses interlocuteurs, Trump promet l’écoute, peut-être même la protection ; en retour, il espère du financement, de la viralité, et une caution de modernité. Car dans l’écosystème crypto, le réseau vaut autant que l’argent.
Plus qu’un simple levier économique, la cryptomonnaie est devenue pour Trump un capital politique. Elle lui permet de court-circuiter les grands donateurs républicains traditionnels, souvent réticents à sa rhétorique outrancière, et de s’ancrer dans un univers numérique où l’influence se mesure en tokens, en mèmes et en promesses d’“indépendance financière”.
Un parfum de corruption ou la logique du capitalisme en roue libre ?
Mais cette proximité soulève des inquiétudes, y compris chez certains conservateurs. En s’associant à des fortunes aussi volatiles qu’opportunistes, Trump ne fragilise-t-il pas encore davantage l’idée même de démocratie représentative ? Ces “crypto-élites”, souvent hostiles à toute forme de régulation, n’achètent-elles pas ici une influence directe sur la scène politique américaine ?
On n’est pas encore dans la corruption au sens juridique, mais dans ce que les philosophes de la chose publique appellent une “captation douce du pouvoir” : on n’impose rien, on séduit ; on ne donne pas d’ordre, on finance ; on ne gouverne pas, on inspire — à coups de milliards numériques.
Une vision trumpienne de la puissance : liquide, agressive, désinhibée
L’homme qui, jadis, s’affichait comme magnat de l’immobilier et chantre du “Make America Great Again”, épouse désormais les codes d’un monde sans frontières, où le dollar n’est plus qu’un jeton parmi d’autres. Ce monde est celui de la spéculation algorithmique, de l’instantanéité lucrative, de la “communauté” comme levier d’investissement.
Mais dans cette dérive — ou évolution, selon les points de vue — Trump se met aussi en scène comme figure tutélaire d’un capitalisme débridé, sans sol, sans mémoire, sans contre-pouvoir. Le dîner de Mar-a-Lago, en cela, n’est pas un simple événement mondain. C’est une photographie glaçante d’un futur politique où l’État s’efface au profit des portefeuilles numériques.
Trump, corrompu ? Non, pas selon les critères anciens. Mais capté, oui — capté par une caste qui ne croit qu’en la valeur qu’elle crée elle-même. Et c’est peut-être là, au fond, le vrai danger : non pas le retour de la corruption, mais l’avènement d’un pouvoir sans morale, où la monnaie virtuelle devient le langage des rois