Paris, août 2024. Tandis que la Seine s’embrasait de mille reflets LED et que les délégations défilaient sur des barges futuristes, la France — du moins sa frange la plus connectée, ou la plus méfiante — s’enfonçait dans une autre cérémonie : celle du soupçon.
Très vite, les images de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques ont fait le tour du web. Un danseur vêtu de noir et des drag queens qui rejouent la Cène, ou alors Marie Antoinette a qui on coupe la téte et une statue de cheval lumineuse flottant dans l’eau qui galope sur la Seine, des drones dessinant des figures étranges dans le ciel et pour finir des scènes de vidéos LGTQIA+. Et avec elles, une rumeur grandissante : « C’est satanique. »
Quand le spectacle devient rituel
La cérémonie, pensée comme une ode à l’audace esthétique et à l’histoire de Paris, a déployé un langage symbolique que l’on pourrait qualifier de “conceptuel baroque” : Marianne réinterprétée en androgyne numérique, chorégraphies inspirées du Butō, clins d’œil à l’ésotérisme architectural haussmannien… Autant dire : trop d’abstraction pour une époque obsédée par la lisibilité immédiate.
Mais pourquoi “satanique” ? Ce mot, galvaudé, sert aujourd’hui de réceptacle à toutes les angoisses contemporaines. Il ne s’agit pas d’un retour au Moyen Âge, mais d’un réflexe culturel hérité d’un monde saturé d’images, où l’esthétique sombre, stylisée, technologique est vite confondue avec le mal. À la croisée de l’algorithme et du dogme, l’imaginaire collectif cherche des démons dans les détails.
Une paranoïa algorithmique
Sur TikTok, Instagram, Twitter, les extraits tournent en boucle, sortis de leur contexte, ralentis, analysés. Le numérique ne fabrique pas des vérités : il manufacture des mythologies express. Et dans un monde désorienté, entre effondrement climatique et crispation identitaire, certains cherchent une logique cachée. Plus l’événement est grandiose, plus il est suspect. La cérémonie des JO, avec son budget faramineux, ses symboles revisités, et sa prétention artistique, cochait toutes les cases.
Ainsi, une figure stylisée de la déesse Isis devient un hommage à l’Égypte antique pour les uns, un clin d’œil occulte pour les autres. Une danse contemporaine évoquant la résilience collective devient, dans certains montages YouTube, une “invocation démoniaque”.
Le retour du religieux par le soupçon
Ce réflexe dit autre chose : un besoin de sacré dans une époque désenchantée. Face à un monde désymbolisé, les masses cherchent du sens — même noir, même délirant. Le satanisme présumé devient une manière tordue d’élever le spectacle à la hauteur d’un rite. Ce n’est pas tant qu’ils croient au diable : c’est qu’ils ont peur de n’avoir plus rien à croire du tout.
Et puis, il y a cette France, crispée, qui n’aime pas qu’on touche à ses formes. Une cérémonie olympique qui n’aurait pas déroulé fièrement les cocardes, les bérets, les croissants et les valses rassurantes a forcément trahi quelque chose. Le satanisme devient l’autre nom de l’incompréhension esthétique. De l’agacement devant une modernité qu’on ne lit plus.
Un miroir tendu à l’époque
Ce que la cérémonie des JO 2024 a surtout réussi, c’est à mettre en lumière nos tensions collectives : entre tradition et innovation, beauté et peur, langage symbolique et culture du soupçon. En somme, si les JO ont été « sataniques » pour certains, c’est peut-être parce qu’ils ont révélé un démon autrement plus contemporain : la peur de ne plus rien maîtriser.
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