Une intensification militaire en Méditerranée orientale et en mer Égéenne
Ces dernières années, la situation en Méditerranée orientale et en mer Égéenne a consi-dérablement évolué ces dernières années, marquée par une intensi-fication de la présence militaire américaine, perçue par la Turquie comme une menace directe à sa sécurité nationale. Cette percep-tion découle notamment de l’augmentation significative du nombre de navires de guerre américains opérant dans cette région stratégique, soutenue par la Sixième Flotte de la marine américaine, qui dispose d’environ 40 navires, 175 avions et 21 000 militaires. Parmi ces navires, on trouve des destroyers de classe Arleigh Burke, équipés du système Aegis, capables de mener des frappes balistiques, ainsi que des porte-avions tels que l’USS Harry S. Truman. Ces forces sont complétées par des sous-marins nucléaires d’attaque qui opèrent discrètement dans la région.
Le renforcement des infrastructures américaines en Grèce
En parallèle, les États-Unis ont renforcé leurs infrastructures militaires en Grèce où l’expansion de la base navale de Souda Bay en Crète en fait un hub logistique majeur pour les opérations améri-caines. Cette base accueille fréquemment des destroyers, des navires amphibies et reçoit régulièrement des porte-avions comme l’USS Dwight D. Eisenhower et l’USS George H.W. Bush. De plus, le port d’Alexandroupoli est devenu un point stratégique pour les forces américaines, facilitant le déploiement de chars, d’hélicoptères d’attaque et d’artillerie lourde. Les exercices militaires conjoints comme le Dynamic Manta et Sea Breeze, qui impliquent régulièrement des navires de guerre américains, sont clairement une démonstration de force destinée à dissuader toute initiative turque en Mer Égée et Méditerranée orientale.
Notons que les États-Unis ont livré à la Grèce un grand nombre de M1A1 Abrams, portant le nombre total de chars grecs à plus de 1 200 unités, consolidant drastiquement les capacités blindées du pays. De plus, la livraison de véhicules de combat d’infanterie Stryker et de véhicules blindés porte à plus de 2 000 le nombre total d’unités blindées déployées. Du côté des systèmes de défense aérienne, la Grèce a reçu des systèmes de missiles Patriot PAC-3, ajoutant une couche de défense supplémentaire contre les menaces potentielles. Même les S-300 d’origine russe, indirectement soutenus par les États-Unis, augmentent la capacité de défense aérienne dans la région. La France, soutenant également cette dynamique, a déployé des Rafales en Grèce, ajoutant une force supplémentaire aux tensions militaires en mer Égée.
Implications au Moyen-Orient : Le déploiement des F-22 au Qatar
Les implications pour la Turquie s’étendent également au Moyen-Orient, où les États-Unis ont récemment déployé des F-22 Raptors au Qatar, marquant un tournant stratégique dans la région. Traditionnellement absents du Golfe, ces avions sont désormais stationnés pour « sécuriser » la région face aux menaces perçues de l’Iran. Néanmoins, en Turquie, cette manœuvre est interprétée comme une préparation à une confrontation où la Turquie pourrait être directement visée, notamment en raison de son rôle de défenseur des intérêts musulmans et palestiniens, une position qui entre en conflit avec les objectifs israéliens soutenus par les États-Unis.
La Turquie se trouve dans une position de plus en plus complexe, entourée par un déploiement militaire massif qui, sous le couvert de justifications officielles telles que la défense contre des menaces régionales comme l’Iran, est perçu par la plupart des analystes comme une manœuvre visant à contenir et à dissuader ses intérêts stratégiques. Ces intérêts ne se limitent pas uniquement à l’influence turque en Méditerranée orientale, mais s’étendent également à la défense de l’intégrité territoriale de la Turquie, particulièrement face au projet d’expansion israélien connu sous le nom de « Arz I Me-vud » qui ambitionne de s’étendre sur des terres incluant le sud-est de l’Anatolie. Cette perspective renforce l’idée que les véritables cibles de ce déploiement sont les territoires turcs eux-mêmes, me-naçant directement la souveraineté nationale.
La stratégie des porte-avions et des systèmes de défense antimissile
Ainsi, les États-Unis ont déployé des porte-avions supplémentaires, notamment l’USS Theodore Roosevelt et l’USS Abraham Lincoln, deux porte-avions de classe Nimitz, dans la région. Ces porte-avions supportent généralement 70-80 avions, y compris des F/A-18 Hornets, EA-18G Growlers et des avions de surveil-lance E-2 Hawkeye. En complément, des systèmes de défense antimissile THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) ont été stationnés dans la région, particulièrement en Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis, avec la possibilité de les réorienter vers des menaces régionales plus larges.
Les relations entre les dirigeants du Golfe et les États-Unis, largement perçues comme entachées de corruption et de loyauté partagée avec Israël, viennent appuyer cette vision. Beaucoup estiment que les élites dirigeantes du Golfe, historiquement liées à certaines dynasties juives, partagent une vision similaire à celle de l’expansion israélienne. Ce réseau d’alliances renforce l’isolement de la Turquie dans sa défense des intérêts musulmans sunnites, la positionnant comme la dernière barrière face à des ambitions qui visent à remodeler le Moyen-Orient au profit d’intérêts étrangers. Ces dynamiques complexes, nourries par une histoire de rivalités et de méfiance, font de la Turquie une cible stratégique pour ceux qui cherchent à redessiner les frontières et les pouvoirs en place dans la région.
La Turquie face aux menaces régionales et internes
Entourée de forces militaires de plus en plus nombreuses, la Turquie doit également faire face à des menaces internes croissantes, notamment des mouvements séparatistes et terroristes comme le PKK, YPG etc. Le soutien américain aux groupes terroristes en Syrie et en Irak est vu par Ankara comme un effort pour fragmenter son territoire, une menace accentuée par des rapports récents sur des risques de troubles internes.
Selon le colonel à la retraite Douglas Macgregor, les États-Unis fournissent un soutien militaire direct aux groupes terroristes dans le nord de la Syrie et de l’Irak, dans le but d’affaiblir et de fragmenter la Turquie. Macgregor explique que ces armes américaines sont utilisées contre la Turquie, alimentant ainsi les craintes d’Ankara quant à un complot visant à détacher les régions du sud-est de la Turquie, riches en ressources, pour les intégrer dans un projet plus large visant à étendre l’influence israélienne.
Un rapport publié tout récemment par Bloomberg (août 2024) place la Turquie en tête des pays susceptibles de connaître des troubles internes majeurs dans un avenir proche. Ce rapport, qui alimente les inquiétudes d’une déstabilisation orchestrée de l’intérieur, met en lumière les risques accrus de révolte, notamment à travers des alliances entre groupes terroristes et autres factions dissidentes. Parmi ces groupes, les efforts de figures comme Masoud Barzani, un leader kurde irakien, sont particulièrement préoccupants pour la Turquie.
Barzani, souvent critiqué pour ses relations étroites avec les puissances occidentales, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni, est perçu comme un pion dans un jeu géopolitique plus vaste visant à affaiblir la Turquie pour l’avènement du Arz-ı Mevud c’est à dire les terres promises ou plus simplement le Grand Israël.
L’influence israélienne et la perspective d’un « Grand Israël »
Une autre source de tension pour la Turquie réside dans les ambitions perçues d’Israël, connues sous le nom de « Arz I Mevud », qui inclurait des territoires turcs. Selon la croyance judaïque, il s’agit d’une région montrée par Jéhovah comme appartenant aux Israélites et comprise dans une vaste zone entre l’Euphrate et le Nil incluant une partie de l’Anatolie (c’est-à-dire une partie de la Turquie).
Ainsi, Ankara craint que les États-Unis et Israël utilisent des alliances dans la région pour déstabiliser la Turquie. À ce propos, des voix critiques au sein de la communauté juive, comme Gilad Atzmon et Miko Peled, soulignent l’injustice des politiques israéliennes à l’égard des Palestiniens. Atzmon, un musicien et activiste d’origine juive, décrit les actions israéliennes comme une forme d’apartheid et de génocide, affirmant qu’elles cherchent à effacer l’identité palestinienne. Peled, un auteur et activiste israélo-américain, qualifie les politiques israéliennes de nettoyage ethnique, soulignant que la violence perpétrée contre les Palestiniens fait partie d’une stratégie plus large de domination régionale. Leurs perspectives renforcent l’idée que les critiques des politiques israéliennes ne proviennent pas uniquement de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur même de la communauté juive, ce qui place les actions turques en défense des Palestiniens dans un contexte moral et éthique global plus large.
La réponse de la Turquie : Stratégies militaires et diplomatiques
Conscient de ces menaces, l’État profond turc a entrepris des démarches positives pour se défendre et protéger ses intérêts na-tionaux. Parmi les initiatives clés, la Turquie a installé des bases militaires de grande envergure dans des pays stratégiques tels que la Libye, la Somalie et le Qatar. Par exemple, la base turque en Soma-lie, inaugurée en 2017, est la plus grande base militaire turque à l’étranger, avec la capacité d’accueillir plusieurs milliers de soldats et de former des troupes locales. En Libye, la Turquie maintient une présence militaire significative pour soutenir le gouvernement de Tripoli, tout en sécurisant ses intérêts énergétiques en Méditerranée orientale.
Par ailleurs, la Turquie a intensifié le développement de son industrie de défense. En 2023, les exportations de défense turques ont atteint un record de 4,4 milliards de dollars, une augmentation substantielle par rapport aux années précédentes. Le pays a égale-ment développé des systèmes d’armes sophistiqués, notamment les drones Bayraktar TB2, qui ont été utilisés sur différents théâtres de conflit. En 2021, la Turquie se classait parmi les dix premiers ex-portateurs mondiaux d’armes, une réalisation notable pour un pays qui était autrefois dépendant des importations pour sa dé-fense. L’essor de l’industrie de la défense turque fait partie inté-grante de la stratégie du pays pour contrer les menaces perçues et maintenir son autonomie stratégique dans un environnement de plus en plus hostile.
Une augmentation massive du budget de la défense turque
Dans ce contexte de tensions croissantes, la Turquie a récemment (2023-2024) décidé d’augmenter son budget militaire de manière spectaculaire, atteignant plus de 40 milliards de dollars USD. À titre de comparaison, le budget de la défense de la France en 2023 était d’environ 45 milliards de dollars USD, celui de l’Allemagne avoisinait les 55 milliards de dollars USD, tandis que le Royaume-Uni consacrait environ 68 milliards de dollars USD à sa défense. Bien que ces pays européens aient des économies plus importantes que celle de la Turquie, cette augmentation drastique du budget turc reflète un effort sans précédent pour accroître ses capacités militaires. Ce choix est interprété par de nombreux observateurs comme un signe d’une préparation accrue à des conflits potentiels ou à des tensions régionales croissantes. En investissant massivement dans sa défense, la Turquie cherche à dissuader toute agression tout en affirmant sa position de puissance régionale capable de protéger ses intérêts stratégiques dans un environnement géopolitique de plus en plus instable
Un avenir géopolitique incertain pour la Turquie
L’accumulation des forces navales américaines en Méditerranée orientale et en mer Égéenne, ainsi que le soutien militaire aux groupes terroristes, place la Turquie dans une position géopolitique de plus en plus délicate. Pour Ankara, ces manœuvres ne sont pas simplement des mesures défensives, mais plutôt des stratégies visant à déstabiliser le pays. Cette perception s’accentue avec la crainte de voir des acteurs internes, comme des séparatistes ou des agents infiltrés, exploités pour affaiblir l’unité nationale turque.
Face à cette menace croissante, la Turquie cherche à renforcer son rôle en tant que contrepoids à l’influence conjointe des États-Unis et d’Israël dans la région. L’augmentation significative de son budget militaire et ses alliances stratégiques régionales témoignent de sa volonté de défendre ses intérêts. Néanmoins, ces tensions constantes laissent entrevoir un avenir incertain pour la Turquie sur la scène internationale, alors que des forces externes, notamment les Américains et leurs alliés, continuent de manœuvrer pour renforcer la domination israélienne au Moyen-Orient, souvent au détriment de l’autonomie turque.
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