Les tensions entre Bakou et Moscou ne datent pas d’hier, mais les derniers mois ont marqué une accélération brutale du refroidissement diplomatique. Derrière les gestes symboliques et les propos enflammés, se cache une mutation stratégique majeure dans l’équilibre du Caucase.
Une absence qui en dit long
Le 9 mai 2025, pendant que les blindés défilaient sur la place Rouge pour commémorer la victoire contre l’Allemagne nazie, un grand absent a attiré l’attention : le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev. Officiellement, il est resté au pays pour rendre hommage à son père, Heydar Aliyev, figure tutélaire du régime. Officieusement, il s’agirait d’un message fort à Vladimir Poutine : le temps du suivisme inconditionnel est révolu.
Cette absence soigneusement orchestrée a été amplifiée par le fait qu’Aliyev s’est rendu dans les territoires repris à l’Arménie – une manière subtile, mais efficace, de rappeler à la Russie ses hésitations et son double-jeu perçu dans la région.
Le crash de trop : catalyseur d’une crise
Tout bascule en décembre 2024. Un avion civil d’Azerbaijan Airlines, en route vers Grozny, est abattu au-dessus du Kazakhstan. Le responsable ? Un système de défense aérienne russe, le Pantsir-S1. Trente-huit civils trouvent la mort. Moscou évoque une erreur tragique, mais refuse d’en assumer la pleine responsabilité.
Cet événement, tragique en soi, a surtout révélé la fragilité des relations bilatérales. Le Kremlin a tenté de minimiser, mais Bakou, cette fois, ne s’est pas contenté d’un simple “désolé”. Aliyev a exigé des réparations et une reconnaissance officielle de la faute. Sans succès. Depuis, la méfiance domine.
Une relation minée par le mépris
Au-delà du crash, l’Azerbaïdjan semble reprocher à la Russie une attitude condescendante, voire humiliante. Des médias russes proches du pouvoir n’ont pas hésité à qualifier Aliyev de “rustre” et à remettre en question la souveraineté de Bakou sur le Haut-Karabakh. Pire encore, des figures de la Douma sont allées jusqu’à suggérer que l’Azerbaïdjan ne pouvait être considéré comme un véritable allié.
La réponse ne s’est pas fait attendre : médias azerbaïdjanais pro-gouvernementaux ont raillé la Russie, allant jusqu’à souligner que les ressources pétrolières de Bakou avaient été cruciales pour la victoire soviétique en 1945 – un rôle jamais reconnu à sa juste valeur.
Un divorce stratégique ou simple dispute passagère ?
Derrière le tumulte diplomatique, la question centrale reste : assiste-t-on à une rupture définitive ou à une crise ponctuelle ? Plusieurs signes suggèrent une prise de distance progressive, notamment avec l’émergence de nouvelles alliances énergétiques et militaires de l’Azerbaïdjan, notamment vers la Turquie et Israël.
Cependant, la Russie reste un partenaire commercial clé, en particulier pour le corridor Nord-Sud, axe logistique stratégique. Les interdépendances économiques freinent encore les désengagements brutaux, mais les fondations sont ébranlées.
Karabakh : terrain symbolique et politique
En passant sa journée du 9 mai dans le Karabakh, Aliyev a envoyé un double message. À l’intérieur, il galvanise une opinion publique fière de la reconquête territoriale. À l’extérieur, il indique que la Russie n’est plus garante du statu quo. Cette mise en scène politique vise à redessiner le narratif du pouvoir azerbaïdjanais : une nation forte, indépendante, et désormais moins alignée sur le Kremlin.
Vers un nouvel équilibre régional ?
Alors que le conflit en Ukraine a profondément modifié la donne géopolitique, le Caucase devient un théâtre secondaire mais révélateur. L’Azerbaïdjan semble vouloir prendre ses distances, capitalisant sur la faiblesse diplomatique de la Russie et l’élargissement de ses propres leviers d’influence.
La crise actuelle n’est peut-être qu’un épisode dans une reconfiguration plus vaste du rapport de forces. Mais elle marque indéniablement la fin d’une époque, où la Russie pouvait compter sur une fidélité régionale automatique. Le Caucase, plus que jamais, devient un jeu d’échecs à plusieurs mains.