Washington – 2025.
Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier, Donald Trump orchestre, méthodiquement, une recomposition radicale du champ politique américain. Loin de l’agitation médiatique et des tweets provocateurs, l’administration mise désormais sur l’architecture froide des décrets, des coupes budgétaires et des mots soigneusement choisis. Son objectif ? Redessiner les frontières symboliques et concrètes de l’Amérique. Et dans cette Amérique-là, les groupes vulnérables – immigrés, minorités transgenres, intellectuels critiques – ne sont plus simplement ignorés. Ils sont désignés comme obstacles.
Un espace anti-immigrant, mais aussi anti-intellectuel
La nouvelle loi sur l’immigration, promulguée début avril, restreint drastiquement les visas étudiants, les permis de travail qualifiés, et durcit les conditions d’asile. En parallèle, plusieurs universités ayant historiquement accueilli des chercheurs réfugiés ou des étudiants issus de programmes internationaux se voient menacées de perdre leurs financements fédéraux si elles ne se “conforment pas aux valeurs nationales”.
Ce virage n’est pas seulement politique. Il est culturel. La figure de l’étranger, naguère instrumentalisée comme bouc émissaire, est aujourd’hui encadrée juridiquement, réduite, contenue. Et l’universitaire cosmopolite, libéral, contestataire – souvent caricaturé par la droite trumpiste comme un “marxiste woke” – devient une cible symbolique autant qu’institutionnelle.
Les personnes transgenres : nouvelles victimes d’une guerre identitaire
La rhétorique anti-LGBTQ+, déjà présente dans le premier mandat, s’est intensifiée. Sous couvert de “protection des enfants” et de “défense des libertés religieuses”, plusieurs États républicains, encouragés par la Maison Blanche, ont multiplié les lois interdisant aux personnes transgenres l’accès aux soins, aux sports ou aux établissements scolaires correspondant à leur genre.
Mais au-delà des mesures, c’est la construction d’un récit que l’on observe : la personne transgenre est désormais posée comme une figure de trouble, une menace à l’ordre social, un symptôme du “déclin civilisationnel” tant redouté par les idéologues trumpistes.
Une stratégie du clivage assumée
Trump ne gouverne pas pour rassembler. Il gouverne pour nommer les lignes ennemies. Et ces lignes ne sont pas seulement économiques ou géopolitiques. Elles sont culturelles, morales, symboliques. L’étranger, le transgenre, le professeur progressiste – voilà les repoussoirs d’un récit national qui prétend restaurer une “grandeur” fondée sur la stabilité des identités.
Cette stratégie n’est pas nouvelle. Mais elle est aujourd’hui systématisée, presque théorisée. Elle transforme l’espace public américain en un champ de tensions permanentes, où les vulnérables deviennent les révélateurs d’un malaise plus profond : celui d’une Amérique qui ne sait plus comment se penser dans le monde global.
Une Amérique qui ne s’écoute plus
Ce durcissement ne peut être compris sans une lecture plus large. Car ce qui se joue, ce n’est pas seulement une revanche politique, c’est une crise de civilisation. L’Amérique trumpienne exprime un refus radical de la complexité. Elle oppose au pluralisme une nostalgie de l’homogénéité. À la fragilité, la force. À l’altérité, la clôture.
Et cela nous dit quelque chose de plus vaste : nous entrons dans une ère politique où la vulnérabilité n’est plus protégée mais combattue. Où la nuance est perçue comme faiblesse. Où la frontière – qu’elle soit nationale, biologique, culturelle – devient la figure centrale de tout discours.
Et nous, en Europe ?
Ce qui advient aux États-Unis est moins un cas d’exception qu’un miroir grossissant de nos propres débats. La France, l’Allemagne, la Pologne observent avec inquiétude, mais aussi avec tentation. Car l’espace “anti” – anti-immigration, anti-genre, anti-savoir – séduit dans son apparente simplicité.
Face à ce reflux, le défi est immense : réaffirmer la valeur politique de la fragilité, la dignité du doute, l’importance du dialogue. Bref, préserver ce qui reste d’humain dans nos démocraties tourmentées.