Tant pis pour Beethoven.
Jeudi soir, la salle du Théâtre des Champs-Élysées, temple feutré du classicisme, a connu un moment de dissonance rare : des activistes ont interrompu le concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à Paris, transformant la ferveur symphonique en brouhaha politique. Quatre d’entre eux sont désormais en garde à vue, dont une personne fichée S — preuve que même la Neuvième peut, désormais, être perçue comme un acte de provocation.
La guerre, on le sentait, finirait bien par s’infiltrer jusque dans les plis impeccables des partitions.
Quand la musique devient champ de bataille
Dans la France saturée de symboles, rien n’est jamais innocent : ni une salle, ni un orchestre, ni même un programme musical. Ce soir-là, Beethoven, compositeur universel par excellence, fut malgré lui enrôlé dans une guerre des récits — celle d’un Proche-Orient devenu, en Europe, un miroir de passions et de colères importées.
Les activistes, porteurs de slogans et de drapeaux, ont fait de la salle un champ d’écho du monde. Le chef d’orchestre, stoïque, a attendu que la cacophonie se taise. Le public, plus perplexe qu’indigné, a applaudi la reprise du concert comme on applaudit la normalité revenue.
Mais le geste, lui, restera : celui d’un moment où la culture, longtemps sanctuaire, cesse de l’être.
De Macias à Kneecap, un été de tension
L’incident n’est pas isolé. En mars, c’est Enrico Macias, figure d’un autre siècle, qui avait vu son concert perturbé au Dôme de Paris par quelques militants décidés à rappeler les lignes de fracture du conflit. L’artiste de 85 ans, fidèle à son mélange d’humour et de nostalgie, avait balayé les perturbateurs d’une phrase suave : « Il y avait des énergumènes qui ont voulu nous saboter le spectacle. »
Mais derrière les anecdotes se dessine une tendance : la politisation croissante des scènes, de la chanson populaire au festival indépendant. L’été 2025 aura été celui des drapeaux dans le public, des annulations sous pression, des prises de position publiques de musiciens qu’on aurait crus éloignés de la géopolitique.
De Tomorrowland à Avignon, de Rock en Seine à Saint-Cloud, le spectacle vivant est devenu un champ de forces — un lieu où l’on choisit son camp avant de choisir son siège.
L’art, otage de la cause
Autrefois, la musique adoucissait les mœurs. Aujourd’hui, elle les reflète.
Dans une époque saturée de moralité, chaque note semble devoir prouver son innocence ou son engagement. On ne joue plus seulement pour émouvoir, mais pour témoigner. Le spectateur, lui, vient écouter — ou juger.
La salle de concert devient agora, le festival devient arène. Et derrière les micros, les artistes, sommés de se positionner, voient se dissoudre cette frontière fragile entre art et politique qui faisait encore illusion.
Un silence assourdissant
Peut-être faut-il voir, dans ces interruptions, moins une radicalité qu’un symptôme : celui d’un monde où le bruit de la guerre recouvre tout, jusqu’à la musique.
Beethoven, ce soir-là, n’a pas triomphé du tumulte. Mais son silence, lui, disait tout — sur l’époque, sur la fatigue morale, sur l’impossibilité, désormais, de séparer le beau du brûlant.
La Neuvième avait voulu chanter la fraternité des peuples.
C’est devenu, malgré elle, la bande-son d’un siècle qui ne sait plus s’accorder.
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