« Il est nécessaire au Prince de savoir bien user de la bête et de l’homme. » Ces mots, écrits par Nicolas Machiavel au début du XVIe siècle dans Le Prince, n’ont rien perdu de leur tranchant. Cinq siècles plus tard, ils semblent résonner avec une acuité inquiétante dans les palais de Moscou comme dans ceux de Jérusalem. Vladimir Poutine et Benyamin Netanyahou, chacun à leur manière, semblent incarner ce que le Florentin appelait le “bon prince” : non pas un modèle de vertu, mais un maître de la simulation, de la dissimulation et de la guerre comme art du pouvoir.
La politique comme théâtre
Machiavel ne croyait pas à la bonté des hommes. Il croyait au pouvoir. Et surtout, à la capacité du dirigeant à paraître plutôt qu’être. Le Prince doit savoir jouer le lion et le renard. Être cruel si nécessaire, et rusé toujours.
Poutine, expert du retournement narratif, a construit un régime où le mensonge d’État devient une arme stratégique. Entre opérations militaires “spéciales”, référendums fictifs et diplomatie de la peur, le président russe n’agit jamais sans un double fond. Il ne dit jamais tout, et parfois rien de vrai. Mais toujours dans une logique de force.
Netanyahou, quant à lui, est un autre type de joueur d’échecs. Plus démocrate dans sa façade, plus tragique dans son environnement. Israël est une démocratie assiégée, et son Premier ministre le sait. Il dramatise, polarise, manipule. Il incarne un chef en temps de guerre, même en temps de paix. Il promet la sécurité comme on promet la pluie au désert : sans garantie, mais avec foi.
La guerre, outil de paix ?
Machiavel l’avait compris avant Hobbes ou Clausewitz : la guerre est parfois le ciment d’un ordre politique. Non parce qu’elle est juste, mais parce qu’elle est utile. Le Prince ne fait pas la guerre par goût, mais par nécessité. Elle détourne les regards, renforce l’unité intérieure, justifie l’autorité.
La Russie de Poutine s’est consolidée sur les cendres de la Tchétchénie, de la Crimée, puis de l’Ukraine. Quant à Israël, l’état de guerre — réel ou symbolique — est devenu une structure permanente du débat national. Le Prince, chez Machiavel, doit être perçu comme fort. Et la guerre est le plus ancien spectacle de la force.
Mais à quel prix ?
Machiavel, le miroir noir
Reste une question, essentielle : Machiavel est-il une boussole ou un miroir ? L’auteur du Prince ne dit pas ce que le pouvoir doit être, il décrit ce qu’il est souvent devenu. Il n’invente pas le cynisme politique, il le dévoile. Il ne recommande pas la cruauté, il la rationalise.
Poutine et Netanyahou ne sont pas machiavéliens au sens littéral ; ils sont les enfants d’un monde où la vérité ne suffit plus à gouverner, où la morale devient une variable d’ajustement, et où l’ordre repose non sur la justice, mais sur la peur et la maîtrise du récit.
Et nous ?
L’Occident, englué dans ses contradictions, feint parfois de s’indigner de ces pratiques tout en les tolérant, voire en les imitant. Le “soft power” devient alors une parodie élégante de cette même logique : séduire plutôt que convaincre, promettre plutôt que tenir.
Alors oui, Poutine et Netanyahou sont des Princes modernes, mais dans un monde où les spectateurs sont fatigués du théâtre. Et si nous relisions Le Prince, non pas comme un manuel, mais comme un avertissement ?