Depuis plusieurs années, la Somalie s’impose progressivement comme un épicentre stratégique, aussi bien sur le plan sécuritaire qu’économique, dans la Corne de l’Afrique. Son immense façade maritime, son positionnement géopolitique à la croisée de routes commerciales majeures, et ses ressources naturelles encore inexploitées, suscitent l’intérêt croissant de puissances régionales et mondiales. Parmi ces acteurs, la Turquie se distingue par une stratégie multidimensionnelle et durable qui s’inscrit dans une logique de partenariat équitable.
Une diplomatie ancrée dans la coopération et la médiation
La Turquie ne se contente plus d’être un partenaire extérieur. Elle s’auto-identifie désormais comme un acteur intégré au continent africain. Cette position a été affirmée par le président Recep Tayyip Erdoğan lors du Forum de diplomatie d’Antalya 2025, où il a qualifié la Turquie de pays « asiatique, africain et européen ». Cette déclaration ne relève pas d’une simple formule rhétorique, mais reflète une politique de proximité fondée sur l’écoute mutuelle, la médiation proactive, et le développement d’un axe Sud-Sud.
La médiation turque entre la Somalie et l’Éthiopie, aboutissant à la Déclaration d’Ankara fin 2024, illustre ce rôle de facilitateur. Dans un contexte tendu par la signature d’un mémorandum entre l’Éthiopie et le Somaliland, Ankara a réussi à ramener les protagonistes à la table des discussions, démontrant ainsi sa capacité à désamorcer des crises régionales complexes.
Une coopération militaire et sécuritaire au service de la stabilité
La coopération entre la Turquie et la Somalie s’est intensifiée autour d’un pilier central : la sécurité. En février 2024, un accord de défense a été signé pour renforcer les capacités somaliennes face aux menaces persistantes comme le terrorisme, la piraterie et la pêche illégale. Dans ce cadre, la base militaire turque d’Anadolu à Mogadiscio, active depuis 2017, forme des officiers somaliens au combat contre Al-Shabaab.
L’accord prévoit également la construction d’une marine somalienne opérationnelle, soutenue par des moyens technologiques turcs. Une flotte conjointe protègera les eaux territoriales somaliennes pour les dix prochaines années, une nécessité stratégique dans un espace maritime de plus en plus convoité.
L’énergie et les ressources naturelles : un nouveau levier de développement
Au-delà de la sécurité, la coopération s’est étendue aux secteurs énergétiques. En mars 2024, un accord majeur a été conclu pour l’exploration et l’exploitation des vastes réserves de gaz et de pétrole somaliens, estimées à 35 milliards de barils. La Turquie, forte de son expérience dans l’exploration en Méditerranée et en mer Noire, partage désormais ses savoir-faire techniques avec la Somalie.
Le navire de recherche sismique Oruç Reis, déployé fin 2024, symbolise cette nouvelle étape dans l’exploitation offshore. Les compagnies turques et somaliennes collaborent également sur les explorations terrestres. L’objectif est clair : transformer la richesse naturelle somalienne en moteur de stabilité et de prospérité.
Une ambition spatiale pour affirmer une souveraineté technologique
Dans une initiative surprenante mais hautement stratégique, la Turquie a annoncé en décembre 2024 la construction d’un port spatial en Somalie. Située à proximité de l’équateur, la Somalie offre un avantage géographique considérable pour le lancement de satellites. Ce projet illustre l’évolution de la coopération vers des domaines de haute technologie, plaçant la Somalie dans une nouvelle trajectoire de développement scientifique et économique.
Le port spatial, porté par l’Agence Spatiale Turque (TUA), n’est pas seulement un symbole de puissance technologique ; il incarne aussi une ambition partagée : accéder à une souveraineté scientifique dans un monde de plus en plus polarisé.
Un partenariat scruté mais porteur de transformation régionale
Si l’accord turco-somalien suscite l’intérêt, voire les inquiétudes d’autres puissances présentes dans la région (notamment les Émirats arabes unis, la Chine ou l’Union africaine), il s’inscrit dans une logique de complémentarité et non de concurrence. Contrairement à certaines interventions extérieures purement militarisées ou extractivistes, l’approche turque repose sur un socle de confiance, de respect de la souveraineté, et de construction institutionnelle.
La mission de la Turquie ne vise pas à remplacer les acteurs traditionnels comme l’ONU ou l’Union africaine, mais à renforcer les capacités locales dans un esprit de durabilité. Cette posture proactive, mais équilibrée, pourrait servir de modèle dans d’autres régions du continent.
Conclusion :
Le partenariat entre la Turquie et la Somalie illustre une nouvelle manière de penser les relations internationales dans un monde multipolaire. En misant sur une stratégie cohérente, inclusive, et orientée vers l’avenir, la Turquie participe activement à la transformation de la Corne de l’Afrique. Ce n’est plus un simple soutien ponctuel, mais une vision partagée d’un futur fondé sur la sécurité, la souveraineté et le développement.