Plus de huit décennies après la capitulation de l’Allemagne nazie, les traces de la Seconde Guerre mondiale demeurent inscrites dans le paysage politique, économique et moral du continent européen. Si les ruines matérielles ont été depuis longtemps relevées, les cicatrices symboliques, elles, traversent encore les générations. La guerre, avec son cortège de destructions et de révélations, a refondé l’Europe moderne, souvent malgré elle.
Un continent réorganisé
Au sortir du conflit, l’Europe n’est plus maîtresse d’elle-même. Deux superpuissances — les États-Unis et l’Union soviétique — imposent une logique de blocs, redécoupant la carte en zones d’influence. L’Allemagne est divisée, l’Europe centrale tombe sous le joug communiste, et l’Ouest se replie sur une reconstruction industrielle sous tutelle américaine. C’est dans ce cadre contraint que naîtra la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), ancêtre de l’Union européenne.
Aujourd’hui encore, la fracture Est-Ouest se manifeste : disparités économiques, tensions sur les valeurs dites « illibérales », mémoire du Rideau de fer… L’héritage géopolitique de 1945 reste structurant.
Une mémoire à géométrie variable
La mémoire de la guerre demeure un sujet brûlant. En France, la figure résistante a longtemps dominé, reléguant la collaboration au rang d’ombre honteuse. L’Allemagne, quant à elle, a construit un modèle exemplaire de repentance, au prix d’une introspection collective constante. L’Italie, l’Espagne et même certains pays d’Europe de l’Est ont entretenu, eux, des récits parfois ambigus, mêlant héroïsme et occultation.
Ce pluralisme mémoriel affecte directement la politique : les débats sur les migrations, la souveraineté ou la défense sont souvent traversés par des lectures antagonistes de l’Histoire. L’Europe unie peine à produire un récit commun car elle hérite d’une guerre aux visages multiples.
Des institutions nées du traumatisme
La Seconde Guerre mondiale a profondément influencé la création des institutions européennes. L’idéal de paix, exprimé dans le préambule du traité de Rome (1957), n’est pas une formule creuse : c’est la hantise du retour de la guerre, nourrie par Verdun et Auschwitz. L’Union européenne, pour ses fondateurs, devait être l’antidote à la haine nationaliste et à l’antisémitisme.
De là naît aussi un certain désarmement moral de l’Europe : les États européens, hantés par leur propre barbarie, ont développé une diplomatie prudente, souvent timide, parfois naïve — notamment face à la résurgence de régimes autoritaires à leurs portes.
L’Allemagne, moteur prudent ; la France, conscience inquiète
L’Allemagne d’aujourd’hui, moteur économique du continent, reste hantée par son passé. Cette culpabilité active guide sa politique étrangère et ses engagements démocratiques. Elle explique aussi, pour partie, sa retenue militaire historique — remise en cause depuis la guerre en Ukraine.
La France, elle, se pense comme héritière de deux traditions : la Résistance et les Lumières. Elle porte une parole singulière en Europe, parfois solitaire, souvent minoritaire. Elle revendique une certaine idée de l’Europe, fondée sur la culture, la souveraineté partagée, et une mémoire vigilante.
Conclusion : une paix héritée mais pas acquise
La Seconde Guerre mondiale ne vit plus dans les tranchées ni les décombres. Mais elle hante les textes de loi, les équilibres diplomatiques, les récits nationaux et les consciences. Elle est le point d’origine de l’Europe contemporaine, et peut-être aussi son talon d’Achille : un continent encore trop souvent défini par la peur du retour du chaos.
À l’heure où la guerre est de retour sur le sol européen, l’histoire de 1939-1945 rappelle une leçon simple : la paix ne va jamais de soi. Elle se cultive. Elle s’exige. Et elle se défend.