Séoul – juin 2025.
Il incarne un paradoxe typiquement coréen : populaire sans être populiste, réformateur sans renier les fondements du capitalisme national, Lee Jae-myung vient d’être élu président de la République de la Corée du Sud dans un contexte de fractures économiques, sociales et géopolitiques. Loin des technocrates lisses qui ont longtemps façonné la politique sud-coréenne, cet avocat des classes populaires devenu chef d’État s’annonce comme l’un des dirigeants les plus singuliers qu’ait connu Séoul depuis la transition démocratique.
Un enfant du peuple dans les palais du pouvoir
Né en 1964 dans une famille pauvre d’Andong, Lee Jae-myung a travaillé dès l’adolescence dans une usine avant d’obtenir un diplôme de droit. Avocat spécialisé dans les droits humains, il a gagné sa réputation sur le terrain bien avant les plateaux télé. Devenu maire de Seongnam puis gouverneur de Gyeonggi, il s’est illustré par un volontarisme social parfois jugé audacieux, voire dérangeant pour les milieux d’affaires.
Son élection, avec près de 50 % des voix et une participation record, reflète le besoin de réconciliation dans une société traversée par la défiance : entre les générations, entre les classes, entre le progrès économique et la précarité montante.
Une économie sous tension : la quatrième d’Asie cherche un second souffle
Car la Corée du Sud, souvent vantée comme modèle de développement, traverse aujourd’hui une zone de turbulence structurelle. Croissance en berne (0,8 % selon les dernières prévisions), hausse du coût de la vie, endettement massif des ménages, dépendance accrue aux exportations… autant de symptômes d’un essoufflement après le miracle économique.
Pour y répondre, Lee Jae-myung propose une relance keynésienne modernisée : investissements publics ciblés (notamment dans l’intelligence artificielle et la souveraineté industrielle), transformation des grands conglomérats (chaebols) via une meilleure gouvernance, et soutien renforcé aux jeunes générations, confrontées à un chômage insidieux et au mal-logement.
Une diplomatie du rééquilibrage : entre Washington, Pékin et Pyongyang
Si la relation avec les États-Unis reste le socle de la politique étrangère sud-coréenne, Lee veut nuancer l’alignement automatique. Il entend notamment diversifier les alliances économiques, en se rapprochant du Japon sur des bases plus pragmatiques, en renforçant la présence sud-coréenne dans les partenariats commerciaux comme le CPTPP, et en rouvrant — timidement — la voie du dialogue avec Pyongyang.
Dans un contexte où la péninsule reste exposée à tous les risques de la rivalité sino-américaine, cette diplomatie du juste milieu s’annonce comme un exercice d’équilibrisme permanent.
Un président sous surveillance judiciaire
Mais l’homme n’est pas sans zones d’ombre. Des enquêtes pour corruption et usage abusif de fonds publics, entamées lors de ses précédentes fonctions, restent en suspens. Bien que protégé par l’immunité présidentielle, Lee Jae-myung sait qu’il devra composer avec une opinion publique exigeante et une opposition conservatrice revancharde.
Conclusion : vers une nouvelle voie coréenne ?
L’élection de Lee Jae-myung ne se résume pas à un simple changement de cap. Elle signe l’irruption d’une autre manière de penser le pouvoir : moins verticale, plus sociale, mais non moins ambitieuse. Ce fils d’ouvrier qui promet de réconcilier efficacité économique et justice sociale pourrait bien redéfinir l’identité sud-coréenne du XXIe siècle.
Alors que la Corée du Sud s’affirme comme une puissance moyenne au rayonnement global, son président fraîchement élu devra démontrer qu’un autre récit est possible — celui d’un pays moderne sans brutalité, prospère sans arrogance, et global sans perte de soi