Elle se dresse fièrement sur le Champ-de-Mars, silhouette d’acier devenue l’âme du paysage parisien. Aimée des uns, décriée par d’autres lors de sa naissance, la Tour Eiffel est aujourd’hui l’emblème incontesté de la France, attirant chaque année près de sept millions de visiteurs venus du monde entier. Pourtant, l’histoire de ce géant de fer commence dans la controverse, le génie, et une certaine idée du progrès.
Un projet audacieux pour une Exposition universelle
C’est à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, célébrant le centenaire de la Révolution française, que l’idée d’un monument hors normes prend forme. Un concours est lancé pour « élever sur le Champ-de-Mars une tour de fer d’une base carrée de 125 mètres de côté et de 300 mètres de hauteur ».
Le projet retenu est celui de l’ingénieur Gustave Eiffel, déjà reconnu pour ses ponts audacieux et ses structures métalliques à travers le monde. Conçue par Maurice Koechlin et Émile Nouguier, deux ingénieurs de la maison Eiffel, la tour est pensée comme une prouesse technique : 18 038 pièces métalliques, assemblées par plus de deux millions de rivets. Il fallait oser.
Une “verrue” de fer dénoncée par les artistes
L’élan visionnaire ne fait cependant pas l’unanimité. Dès 1887, alors que les travaux débutent, une fronde artistique s’organise. Dans une célèbre lettre adressée au ministre des Travaux publics, et publiée dans Le Temps, des écrivains et artistes de renom – parmi lesquels Maupassant, Dumas fils ou Charles Gounod – dénoncent une « tour odieusement dominante », un « squelette de fer » qui viendrait défigurer le ciel de Paris.
Gustave Eiffel répondra par la seule langue qu’il maîtrise : celle des chiffres, de l’élégance fonctionnelle et de la foi dans le progrès industriel.
Une tour d’expérimentations et de défis
Inaugurée le 31 mars 1889, la tour culmine alors à 300 mètres. Elle restera la plus haute structure du monde jusqu’à l’achèvement du Chrysler Building à New York, en 1930. Gustave Eiffel y installe un laboratoire de météorologie, puis encourage les premières expériences de télécommunications, pressentant l’utilité scientifique de son œuvre.
Initialement destinée à être démontée après 20 ans, la tour doit sa survie à son rôle stratégique dans les communications radiophoniques, notamment durant la Première Guerre mondiale. Devenue outil militaire, puis phare technologique, elle entre définitivement dans le patrimoine national.
De rejetée à adulée
Aujourd’hui, ceux qui la conspuaient reposent dans l’ombre du monument qu’ils honiraient. La Tour Eiffel, naguère qualifiée d’« infâme colonne de tôle boulonnée », est devenue l’un des monuments les plus photographiés au monde. Elle incarne cette capacité française à transformer l’innovation décriée en héritage glorieux.
La “Dame de fer”, comme on l’appelle désormais avec affection, veille sur la capitale. Touristique et républicaine, moderne et intemporelle, elle rappelle que le goût du risque, du geste fou mais maîtrisé, peut parfois offrir au monde des symboles éternels.