Pourquoi le gouvernement souhaite-t-il changer la constitution ?
La constitution actuelle de la Turquie, adoptée en 1982 après le coup d’État militaire de 1980, est souvent critiquée pour son héritage autoritaire et son inadéquation avec les principes démocratiques modernes. Le gouvernement estime que ce texte ne reflète plus les réalités sociales, politiques et économiques de la Turquie du XXIᵉ siècle. Il souhaite donc élaborer une nouvelle constitution qui répondrait mieux aux besoins actuels du pays et qui serait davantage en harmonie avec les standards internationaux en matière de droits de l’homme.
En 2017, la Turquie a opéré une transition significative en passant d’un système parlementaire à un système présidentiel exécutif, suite à un référendum constitutionnel. Le gouvernement actuel cherche à affiner ce système en clarifiant les rôles et les responsabilités des différentes institutions étatiques pour améliorer l’efficacité et la gouvernance du pays.
Par ailleurs, le gouvernement affirme que la nouvelle constitution visera à renforcer les droits individuels et les libertés fondamentales, tout en protégeant davantage les droits des minorités. Il s’agit de mettre en place un cadre juridique moderne qui correspond aux aspirations démocratiques de la société turque.
Le président Erdoğan a également appelé à un large consensus national pour l’élaboration de la nouvelle constitution, invitant tous les partis politiques, y compris ceux de l’opposition, à participer au processus. L’objectif est de créer une constitution qui reflète les aspirations de tous les segments de la société turque.
Cependant, cette initiative suscite des controverses et des critiques. Certains opposants craignent que les réformes proposées ne conduisent à une concentration excessive du pouvoir entre les mains du président, affaiblissant ainsi les mécanismes de contrôle démocratiques et les contre-pouvoirs. D’autres dénoncent un processus de révision constitutionnelle manquant de transparence et d’inclusivité, estimant que les voix dissidentes ne sont pas suffisamment prises en compte. Des organisations nationales et internationales expriment également des préoccupations concernant l’impact potentiel sur l’état de droit, la liberté de la presse et l’indépendance judiciaire.
L’Article 66 : Définir la citoyenneté à l’ère moderne
L’Article 66 de la constitution turque actuelle est au cœur des débats sur l’identité nationale et la citoyenneté. Il stipule que toute personne liée à l’État turc par le lien de citoyenneté est un Turc. De plus, un enfant né d’un père ou d’une mère turque acquiert automatiquement la citoyenneté turque, quel que soit son lieu de naissance. La citoyenneté peut être obtenue selon les conditions fixées par la loi, notamment par naturalisation, et un citoyen turc ne peut être privé de sa citoyenneté que dans les cas déterminés par la loi, avec le droit de recours légal.
Cette définition met l’accent sur une identité nationale unifiée, ce qui a des implications significatives pour les minorités ethniques du pays, telles que les Kurdes, les Arméniens, les Grecs et d’autres. Ces groupes peuvent se sentir exclus, car la définition actuelle ne reconnaît pas explicitement la diversité ethnique et culturelle de la Turquie. Cela peut affecter l’intégration sociale de ces minorités et leur pleine participation à la vie civique.
Dans le cadre des réformes constitutionnelles envisagées, l’Article 66 suscite des débats intenses. Il y a des propositions pour modifier cet article afin d’adopter une définition plus inclusive de la citoyenneté. Par exemple, remplacer la phrase « est un Turc » par « est un citoyen de Turquie » pourrait reconnaître officiellement la diversité culturelle et ethnique du pays. D’autres suggestions incluent l’intégration de dispositions qui protègent et reconnaissent explicitement les droits des minorités ethniques et religieuses, ainsi que l’alignement de la définition de la citoyenneté sur les standards internationaux en matière de droits humains.
Les partisans de ces modifications soutiennent qu’une définition plus inclusive de la citoyenneté pourrait renforcer la cohésion sociale en reconnaissant la diversité du pays. Cela pourrait également améliorer l’image internationale de la Turquie en démontrant un engagement envers les valeurs démocratiques et les droits de l’homme, et contribuer à apaiser les tensions ethniques internes.
Cependant, il existe également une résistance à ces changements. Certains craignent que modifier la définition de la citoyenneté puisse affaiblir l’identité nationale turque. Des partis nationalistes pourraient s’opposer vigoureusement à toute modification perçue comme une menace à l’unité nationale. De plus, parvenir à un consensus sur une question aussi sensible pourrait s’avérer difficile dans le climat politique actuel.