Cambridge (Massachusetts) — L’information est tombée avec la froideur d’une circulaire bureaucratique et le fracas d’un geste politique. L’administration Trump a révoqué, avec effet immédiat, la certification permettant à Harvard d’inscrire des étudiants internationaux pour l’année académique 2024-2025. Une décision sans précédent qui frappe au cœur l’institution la plus prestigieuse du monde universitaire américain et suscite, à juste titre, une onde de choc dans les milieux intellectuels des deux côtés de l’Atlantique.
La fin du cosmopolitisme universitaire ?
Harvard, fondée en 1636, berceau des élites américaines et foyer d’une recherche d’excellence mondialement reconnue, accueille chaque année près de 7 000 étudiants internationaux. Cette mesure, décrétée par le Département de la Sécurité intérieure, met fin à une tradition d’ouverture et de brassage intellectuel que peu d’universités égalent. À l’heure où la mondialisation des savoirs s’impose comme une évidence, la décision relève d’un isolationnisme assumé, presque théâtral.
L’administration justifie son choix par une double accusation : collusion idéologique avec le Parti communiste chinois et laxisme face à des “agitateurs pro-terroristes”, notamment dans le contexte de manifestations pro-palestiniennes. Harvard, selon les autorités, aurait ainsi perdu le contrôle de son campus, au détriment de la sécurité et de l’ordre public.
Une attaque politique contre l’autonomie intellectuelle
Mais derrière l’argument sécuritaire se dessine une opération bien plus large : le discrédit stratégique des bastions de la pensée libérale et progressiste. Harvard n’est pas simplement une université. Elle est un symbole, une matrice idéologique, un pôle d’influence global — et, depuis longtemps, la bête noire des droites populistes américaines.
Donald Trump, fidèle à sa logique de confrontation, se présente comme le redresseur d’un ordre académique jugé trop indulgent envers la critique de l’Amérique, trop cosmopolite, trop “woke”. En coupant l’accès aux étudiants étrangers, il frappe là où ça fait mal : dans la vitalité internationale, dans la diversité intellectuelle, dans l’âme même de l’université.
La réponse du monde savant : une bataille pour l’universel
Harvard, par la voix de ses administrateurs, a annoncé une riposte juridique immédiate. L’université dénonce une mesure « injustifiée, infondée et contraire aux principes constitutionnels », qui menace non seulement sa mission éducative, mais l’image même des États-Unis comme terre de savoir et d’accueil.
Les réactions dans le monde universitaire sont à la mesure de l’enjeu. De Paris à São Paulo, de New Delhi à Oxford, les recteurs, chercheurs et étudiants s’inquiètent : si Harvard peut être frappée, qui sera le prochain ? Ce n’est pas une question d’admissions, mais de souveraineté culturelle, de liberté de pensée et de circulation des idées.
Une fracture durable dans le prestige américain ?
Cette interdiction n’est pas seulement un événement administratif : elle pourrait devenir un tournant. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’université américaine représentait un idéal de méritocratie globale, attirant les talents du monde entier, consolidant le soft power des États-Unis à travers la diplomatie du savoir.
Aujourd’hui, à l’heure des murs, des restrictions et des replis identitaires, cette aura se fissure. L’Amérique qui brillait par ses campus devient l’Amérique qui exclut. Et c’est peut-être cela, plus que l’interdiction elle-même, qui inquiète profondément : l’idée que l’universel peut être mis entre parenthèses au nom d’un ordre idéologique fermé sur lui-même.