Paris — La question, autrefois cantonnée aux marges du droit civil, resurgit aujourd’hui au cœur du débat public avec une vigueur inattendue : faut-il suspendre, restreindre, voire annuler certains mariages d’étrangers en France ? À l’heure où les flux migratoires redessinent les paysages démographiques, le lien conjugal se trouve pris entre soupçon administratif et revendication affective.
Ce qui semblait relever de la vie privée devient ainsi un enjeu politique, identitaire, et même philosophique : où commence la fraude, où finit l’amour ?
🟦 Oui, pour protéger la souveraineté et lutter contre les abus
Par Me Claire Duvillard, juriste en droit public
Depuis trop longtemps, le mariage est devenu une passerelle artificielle vers des droits que l’on détourne. Chaque année, plusieurs milliers d’unions — parfois arrangées, souvent intéressées — sont contractées sans affectio societatis, mais avec une claire stratégie d’installation sur le territoire.
La République ne peut être dupée. Le droit au séjour par mariage est un levier puissant, et donc logiquement un terrain fertile pour la fraude. Annuler systématiquement les mariages contractés dans des conditions suspectes (absence de cohabitation, dossiers incohérents, antécédents judiciaires) serait une manière d’affirmer que la France ne saurait être un visa sentimental.
Cette mesure ne serait pas une attaque contre l’amour. Elle serait une défense de notre État de droit, de notre cohésion sociale, de notre souveraineté. À force de tout justifier au nom de l’émotion, on finit par transformer la nation en simple espace contractuel. Or la France est un corps politique, pas une fiction romantique.
🟥 Non, car l’amour ne se quantifie pas, et la liberté conjugale est un droit fondamental
Par Dr. Samira Bouziane, sociologue du droit et des migrations
Annuler les mariages d’étrangers ? C’est s’attaquer à l’un des piliers du droit privé et à une liberté essentielle : celle de choisir son ou sa partenaire. Derrière la prétendue lutte contre la fraude, c’est une logique de suspicion généralisée qui s’installe. On ne marie plus, on interroge, on enquête, on classe.
Mais qui jugera du « vrai » mariage ? L’État a-t-il vocation à mesurer la sincérité des cœurs ? Ce glissement vers un contrôle du sentiment est non seulement dangereux, mais profondément contraire à l’idée républicaine de liberté. Il transforme le conjoint étranger en suspect permanent, et le couple en objet de surveillance.
Les mariages mixtes ne sont pas des anomalies. Ils sont le reflet vivant de la mondialisation des liens humains, et une richesse culturelle inestimable. Les remettre en cause, c’est s’enfermer dans une vision étroite, défensive et xénophobe de la société.
⚖️ Un débat révélateur d’un malaise civilisationnel
Au fond, cette controverse dépasse la seule question juridique. Elle dit quelque chose de plus profond : le trouble contemporain face à la frontière. La frontière entre citoyen et étranger, entre amour et intérêt, entre intimité et administration.
Le mariage est devenu un espace d’arbitrage entre l’ouverture du monde et la crispation nationale. Et si la République se doit de se défendre, elle ne peut pour autant devenir un guichet froid où les vies s’évaluent à coups de tampons et de procès-verbaux.
Le défi, aujourd’hui, est peut-être moins de contrôler l’amour que de réconcilier le droit avec la complexité du réel.