Le 25 mai 2020, à Minneapolis, un genou sur le cou de George Floyd, 8 minutes et 46 secondes de suffocation publique ouvraient une brèche dans la conscience mondiale. En pleine pandémie, le cri « I can’t breathe » devenait un refrain universel, la douleur noire trouvait un écho planétaire, et le slogan Black Lives Matter surgissait comme un cri de ralliement, un principe éthique, un refus de l’effacement. Cinq ans plus tard, que reste-t-il de ce soulèvement ? Un slogan vidé de sa substance ? Un mouvement fragmenté ? Ou bien un feu souterrain, plus diffus mais toujours incandescent ?
Une secousse globale… et ses répliques
En 2020, des millions de manifestant·es, à Londres, Paris, Nairobi ou Tokyo, descendaient dans la rue. Les statues tremblaient. Les entreprises se proclamaient subitement « antiracistes ». Les institutions se découvraient un devoir de mémoire. Pour la première fois depuis la fin des années 1960, la lutte noire dépassait les frontières américaines pour devenir un prisme universel de contestation contre les violences policières, le racisme systémique, et les héritages coloniaux.
Mais les lendemains de révolte sont rarement triomphants. L’effet de bascule escompté s’est rapidement heurté à la machine à broyer du statu quo : backlash conservateur, instrumentalisation politique, division des mouvements, récupération marketing.
Un mouvement fracturé, mais une idée persistante
Aux États-Unis, le mouvement Black Lives Matter s’est divisé entre une nébuleuse militante, ancrée localement, et une structure nationale critiquée pour son opacité et sa gestion financière. Des figures centrales, comme Patrisse Cullors, ont été la cible d’attaques politiques féroces, parfois mêlées à des controverses internes. Pourtant, l’idée dépasse l’organisation. « BLM » est devenu un langage commun, une bannière partagée de Lagos à São Paulo.
En Europe, la mobilisation a laissé des traces. En France, elle a contribué à relancer les débats autour des violences policières, du racisme dans les institutions, du déni républicain. Mais le pouvoir a souvent répondu par le mépris ou l’inquiétude, criminalisant les colères au lieu d’écouter les récits.
Le corporatisme progressiste : victoire ou trahison ?
Paradoxalement, c’est dans le champ culturel et commercial que Black Lives Matter a semblé obtenir ses « victoires » les plus visibles. Défilés de mode « inclusifs », panels de diversité, politiques RH réformées, nominations symboliques : l’esthétique de l’antiracisme a parfois supplanté son éthique. On a repeint les murs, mais pas toujours ouvert les portes.
Ce tournant vers le symbolique a permis d’introduire des figures noires dans les espaces autrefois verrouillés, mais il a aussi dilué la radicalité du message initial : celui d’un refus de l’impunité policière et d’un appel à une refondation structurelle. Les élites ont souvent préféré l’émancipation sur tapis rouge plutôt que la confrontation dans la rue.
L’intime comme politique, encore
Ce qui perdure pourtant, c’est une politisation des subjectivités noires à une échelle inédite. Dans les podcasts, les romans, les œuvres d’art, les films, dans les luttes féministes, queer ou diasporiques, le souffle de Black Lives Matter continue de résonner. Moins frontal, moins spectaculaire, mais peut-être plus profond.
Les nouvelles générations noires ne demandent plus simplement à être vues, elles s’écrivent elles-mêmes. Elles désapprennent la honte, s’arment de nuances, refusent de n’être que des symboles de souffrance. Elles construisent, dans la complexité, un nouveau lexique du pouvoir, de la mémoire et du soin.
BLM, aujourd’hui : une idée en mouvement
Cinq ans après George Floyd, Black Lives Matter n’est plus seulement un cri. C’est une question ouverte. Une tension entre l’héritage et la projection. Le mouvement n’a pas gagné, mais il a déplacé le centre de gravité du débat mondial sur la race. Il a ouvert des brèches — éducatives, culturelles, sociales — que l’histoire ne refermera pas si facilement.
Il revient désormais à chacune et chacun de décider : que faire de ce souffle ? Le laisser s’éteindre dans les archives ou le porter, à nouveau, sur les places, dans les écoles, dans les textes et dans les cœurs ?