L’histoire a parfois le goût amer des ironies. Près d’un an après son arrestation à Alger, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal s’apprête à quitter son pays, non en homme libre, mais en expulsé – accueilli par l’Allemagne, qui lui offre un refuge aussi politique que symbolique.
Condamné à cinq ans de prison et à une lourde amende, l’auteur du Village de l’Allemand devient malgré lui un nouvel acteur d’un théâtre diplomatique où se rejouent les tensions anciennes entre Paris, Alger et Berlin. Son départ intervient à la suite d’un communiqué du président fédéral allemand, Frank-Walter Steinmeier, demandant à Abdelmadjid Tebboune une grâce présidentielle et proposant d’accueillir l’écrivain « pour raisons humanitaires ». L’Algérie, soucieuse d’éviter un nouvel affrontement diplomatique, a fini par accepter.
Pour l’Allemagne, cette main tendue n’est pas une première. Berlin, qui fit de la liberté d’expression un principe cardinal de sa diplomatie culturelle, s’est déjà illustré par l’accueil de voix dissidentes venues de Russie, d’Iran ou de Turquie. Le cas Sansal, lui, possède une résonance particulière : celle d’un écrivain francophone dont les mots dérangent autant à Alger qu’à Paris, et dont le courage tranquille s’oppose à la crispation des pouvoirs.
Depuis sa parution en 1999, Boualem Sansal incarne cette tradition d’intellectuels que l’Algérie officielle regarde avec suspicion : trop critiques, trop occidentalisés, trop libres. Sa plume, oscillant entre la nostalgie du pays perdu et la dénonciation des hypocrisies politiques, en a fait une conscience embarrassante pour tous les camps.
Dans un pays où la littérature reste un acte de résistance, sa condamnation sonnait comme un message adressé à toute une génération d’auteurs algériens francophones. Son expulsion, elle, a des allures d’exil choisi par d’autres — l’ultime ironie pour un écrivain qui n’a cessé d’écrire sur l’exil intérieur.
L’affaire, enfin, souligne le glissement des équilibres diplomatiques : là où la France peine à faire entendre sa voix, l’Allemagne s’impose discrètement comme une protectrice des libertés, héritière de son propre rapport à la mémoire et à la censure.
Boualem Sansal, lui, s’envolera vers Berlin. Peut-être pour y retrouver ce que son pays lui refuse : le droit d’écrire sans devoir s’excuser d’exister.
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