Par EurasiaFocus – 07/05/2025
Alors que les débats sur la décolonisation culturelle agitent les musées occidentaux, une dynamique parallèle mais peu explorée transforme silencieusement les paysages muséaux de l’Asie centrale. Depuis une décennie, des institutions culturelles majeures au Kazakhstan, en Ouzbékistan ou encore au Tadjikistan procèdent à une relecture de leur passé impérial, en recentrant leur récit historique sur des figures autochtones et des mythes fondateurs longtemps occultés.
La résurgence des héros préislamiques
À Tachkent, le musée d’Histoire nationale a récemment réorganisé ses galeries pour valoriser les civilisations sogdienne, bactrienne et kouchane, reléguant à l’arrière-plan l’épisode soviétique, longtemps présenté comme “libérateur”. Le roi Kanishka, autrefois mentionné en quelques lignes, bénéficie désormais d’une salle entière illustrant le syncrétisme gréco-bouddhique et les échanges le long de la Route de la soie.
Ce retour aux origines vise à reconstruire un imaginaire collectif antérieur à la domination impériale, que celle-ci soit russe, chinoise ou islamique. C’est également une stratégie de légitimation : en se posant comme héritiers d’une antiquité prestigieuse, les États centraux cherchent à affirmer leur souveraineté mémorielle.
Une scénographie au service de la souveraineté
Loin d’une simple entreprise patrimoniale, cette relecture esthétiquement sophistiquée sert un projet politique : consolider l’unité nationale par le récit historique. Le musée du Premier Président du Kazakhstan à Astana, par exemple, juxtapose les artefacts scythes avec des portraits monumentaux de Noursoultan Nazarbaïev, instaurant une continuité symbolique entre l’Age d’or nomade et l’indépendance contemporaine.
Défis et tensions : entre critique universitaire et injonction étatique
Cependant, cette narration officielle soulève des critiques. Des historiens locaux dénoncent l’instrumentalisation du passé à des fins identitaires, au détriment de la rigueur scientifique. Les publications académiques, souvent censurées ou marginalisées, peinent à nuancer ces reconstructions muséographiques qui gommant les ruptures et les violences de l’histoire coloniale.
Conclusion : muséologie et pouvoir dans l’Asie post-impériale
À travers ces politiques culturelles, l’Asie centrale n’illustre pas seulement une réappropriation du passé ; elle révèle aussi les tensions entre mémoire, histoire et pouvoir. Les musées deviennent les lieux de cristallisation d’un discours national, où l’esthétique se mêle au politique, et où la culture devient l’un des langages stratégiques de la souveraineté eurasiatique.
Pour approfondir : ouvrage clé sur l’histoire et l’avenir des peuples turcs
Pour celles et ceux qui souhaitent aller plus loin dans la compréhension du monde turc, de ses origines jusqu’à sa renaissance actuelle, je recommande la lecture de l’ouvrage :
“L’origine et la renaissance des peuples turcs ”
par Fatih AK, publié chez Eurasia Focus
📘 Lien vers le livre
Ce livre est bien plus qu’un simple ouvrage historique. C’est une fresque vivante retraçant le parcours des peuples turcs à travers les siècles, des steppes d’Asie centrale aux grandes capitales impériales. L’auteur y explore avec clarté et rigueur l’importance stratégique, culturelle et spirituelle des Turcs dans l’histoire mondiale.
Ce qui distingue cet ouvrage, c’est sa capacité à relier le passé au présent : il met en lumière l’idéal turcique qui anime encore aujourd’hui des projets comme celui porté par Recep Tayyip Erdoğan. L’auteur rappelle à juste titre que l’histoire mondiale ne peut être lue sans comprendre le rôle moteur joué par les peuples turcs, tant dans les conquêtes que dans les échanges civilisationnels.
À travers le rêve du Turan, une union renforcée des nations turcophones, ce livre résonne fortement avec les ambitions contemporaines de la Turquie. Il offre un éclairage précieux pour qui veut saisir les fondements historiques et géopolitiques du leadership d’Erdoğan dans le monde turc. Accessible, érudit et passionné, c’est un livre de référence.