Il y a à peine une semaine, Washington se félicitait d’un « miracle ». Donald Trump, dans une mise en scène qui relevait autant de la diplomatie que du théâtre, applaudissait l’accord signé entre Kinshasa et Kigali comme un tournant historique, un « nouveau départ » pour l’Afrique des Grands Lacs. Depuis, le fracas des mortiers a remplacé les flashes des photographes.
À Uvira, ville carrefour au sud du Kivu, posée sur la rive ouest du lac Tanganyika, l’illusion aura duré peu de jours. À l’aube, des silhouettes armées glissent entre les façades ocre, sur la poussière soulevée par les pick-up rebelles. Le M23, en progression simultanée sur plusieurs axes depuis le début du mois, semble désormais tenir la cité. Les premières images apparues sur les réseaux sociaux montrent des colonnes de combattants traversant les artères principales, un mélange de discipline quasi militaire et de brutalité improvisée. Dans les lieux de pouvoir, des commandos au regard froid prennent position, sans résistance notable.
Depuis la veille, les FARDC — l’armée congolaise — et les milices alliées Wazalendo ne sont plus que des ombres fuyantes. En déroute, certains éléments auraient traversé la ville dans un chaos mêlant pillages, rançons improvisées et tentatives désespérées de rejoindre le Burundi voisin. Au port, l’un des rares points d’accès aux embarcations du lac, un flot de fonctionnaires, policiers et notables s’est pressé dans un tumulte de sacs, de pleurs et d’injonctions. Tous espéraient un passage vers Bujumbura, de l’autre côté de l’eau, comme on se rue vers une sortie de secours.
Ces scènes rappellent l’entrée du M23 à Goma l’an dernier, puis à Bukavu en février. Chaque fois, mêmes ruptures, mêmes exodes précipités. Les rebelles affirment agir pour protéger les populations rwandophones, régulièrement prises pour cibles dans ces régions où la mémoire des conflits ethniques demeure vive. Ici, les frontières ne sont pas des lignes mais des cicatrices.
Une étrange délicatesse stratégique
Pourtant, selon plusieurs sources sécuritaires, le M23 aurait volontairement ralenti sa progression vers Uvira. Une manière de laisser aux troupes burundaises le temps de retraiter vers leur pays. « Il semble y avoir eu un accord tacite entre Kigali et Bujumbura », glisse un diplomate occidental, qui préfère garder l’anonymat. Dans cette région où chaque geste militaire a la précision d’un mouvement d’échecs, ce ralentissement relèverait autant de la bienséance guerrière que du calcul géopolitique : éviter les poches de résistance, limiter l’embrasement régional, préserver les apparences.
Car les relations entre le Rwanda et le Burundi sont au plus bas. Le président burundais, Évariste Ndayishimiye, martèle depuis des mois le risque d’un incendie généralisé dans les Grands Lacs. Kigali rétorque en accusant Bujumbura — et Kinshasa — de violer les accords. Derrière les dénégations officielles, personne ne s’y trompe : des unités rwandaises, en uniformes impeccables, appuient les opérations. Drones, mortiers, logistique huilée : autant de moyens dont le M23, seul, ne pourrait disposer.
Un mystère temporel : pourquoi maintenant ?
Reste la question qui obsède chancelleries et analystes : pourquoi lancer une offensive majeure quelques jours après la signature d’un accord de paix encore tiède ? Pourquoi risquer d’irriter Washington, au moment même où l’administration Trump voulait inscrire ce dossier au registre de ses succès ?
« C’est précisément ce qui déroute : l’incohérence apparente du calendrier », note Pierre Boisselet, analyste pour le centre congolais Ebuteli. « On assiste peut-être à une démonstration de force destinée à rappeler que les accords ne valent que ce que les rapports de force leur permettent. »
Pour l’heure, la réaction américaine se limite à un communiqué austère appelant au calme, signé avec quelques capitales européennes. Une formule diplomatique presque rituelle, incapable d’atténuer l’impression qu’ici, dans la chaleur lourde du Sud-Kivu, la réalité militaire dicte sa propre chronologie.
Aux portes du Burundi, une inquiétude sourde
À Uvira, le silence de la ville tombée ne dit rien de l’avenir. Les habitants observent les colonnes rebelles comme on scrute un horizon incertain. Certains espèrent que la prise rapide évitera les combats urbains les plus meurtriers. D’autres redoutent qu’une nouvelle spirale s’ouvre, entraînant le Burundi, le Rwanda et la RDC dans une confrontation plus large.
Sur le lac, l’eau calme du Tanganyika reflète les silhouettes qui s’éloignent. Les barges partant vers Bujumbura transportent un mélange étrange de peur et de résignation. Ici, les “miracles” diplomatiques n’ont qu’une durée : celle d’un cessez-le-feu fragile, vite balayé par la poussière d’une ville conquise.
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