Dans le balancier subtil entre orthodoxie budgétaire et audace politique, Sébastien Lecornu joue sans doute la première grande carte de son mandat. Confronté à la nécessité d’élaborer un budget pour 2026 dans un contexte de finances publiques dégradées et d’urgence politique manifeste, le nouveau Premier ministre se tourne vers un outil symbolique : la « taxe Zucman ».
Derrière ce nom, celui d’un économiste français exilé aux États-Unis, Gabriel Zucman, figure tutélaire d’une génération d’intellectuels qui entendent penser la fiscalité à l’échelle globale. Sa proposition, aussi simple que redoutablement politique, consiste à instaurer un impôt plancher de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Non pas un impôt sur le revenu, ni sur la fortune dans sa forme traditionnelle, mais une taxation minimale sur le stock de richesse, visant à réduire l’évasion fiscale et à capter une part de la rente mondiale.
En France, l’idée est portée avec constance par le Parti socialiste, qui y voit à la fois une réponse aux inégalités patrimoniales et un instrument de rééquilibrage des finances publiques. Pour Lecornu, dont la survie parlementaire dépend d’alliances fragiles, ce pourrait être le sésame. Tendre la main à la gauche en reprenant un marqueur fort — tout en rassurant Bruxelles et les agences de notation par la crédibilité d’un effort de 44 milliards d’euros — revient à opérer un pas de funambule.
Les avantages politiques sont évidents. Le PS pourrait ainsi afficher une victoire symbolique, renouant avec son ADN redistributif, tandis que le gouvernement s’offrirait l’image d’un exécutif capable d’entendre et d’intégrer. Mais les obstacles restent nombreux. D’abord, la faisabilité technique : comment évaluer, recenser et taxer efficacement ces grands patrimoines, souvent logés dans des structures internationales sophistiquées ? Ensuite, la question de l’effet économique : si une telle mesure apparaît juste et populaire, ne risque-t-elle pas de provoquer une fuite accélérée des capitaux, un réflexe d’exil fiscal qui affaiblirait son rendement ?
Pour Lecornu, l’équation est double. À court terme, il s’agit de trouver une majorité pour faire adopter le budget et éviter la censure parlementaire. À moyen terme, il s’agit d’envoyer un signal aux marchés financiers, alors que la France vient de voir sa note souveraine abaissée par Fitch. Entre symbole et pragmatisme, la taxe Zucman pourrait devenir l’instrument d’une recomposition fragile, mais nécessaire, de l’espace politique français.
En somme, si le pari réussit, Sébastien Lecornu n’aura pas seulement sauvé un budget ; il aura inscrit son entrée à Matignon dans une geste paradoxale : celle d’un ancien ministre des Armées devenu stratège de la redistribution. Un paradoxe bien français, où l’art du compromis se confond avec celui de la survie.
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