New York — Le verdict est tombé comme une sentence autant judiciaire que symbolique : Hadi Matar, l’homme qui a tenté d’assassiner Salman Rushdie à l’été 2022, a été condamné à 25 années de prison. Dans le silence feutré du tribunal de Chautauqua, dans l’État de New York, l’agresseur de l’écrivain britannique a écouté la lecture du jugement sans expression visible, mais avec un aveu glaçant : il ne s’attendait pas à ce que Rushdie survive.
Cette phrase, à elle seule, résume l’abîme idéologique qui sépare la littérature du fanatisme. Le survivant, quant à lui, se tient debout, borgne et mutilé, mais plus vivant que jamais, à la hauteur du destin qu’il n’a jamais cessé d’assumer depuis qu’une fatwa a été lancée contre lui par l’Iran en 1989.
Une attaque contre une idée plus que contre un homme
L’attentat perpétré par Matar, alors âgé de 24 ans, n’était pas seulement un acte de violence physique, mais une mise en scène tragique de la guerre que les obscurantismes mènent contre la parole libre. Rushdie, ce jour-là, allait prendre la parole lors d’un symposium sur la liberté d’expression. L’attaque n’a pas seulement visé un corps, mais un principe.
Ce que le tribunal a sanctionné, au fond, ce n’est pas seulement une tentative de meurtre, mais une tentative d’effacement symbolique : celle d’un écrivain qui incarne, depuis des décennies, la puissance subversive du langage, capable d’ébranler les dogmes les plus ancrés.
L’écrivain comme cible permanente
Depuis Les Versets sataniques, Rushdie vit sous la menace, à la fois réelle et abstraite. Il est devenu malgré lui une figure totémique d’une époque où l’écrivain ne se contente plus d’écrire : il incarne, parfois au péril de sa vie, la possibilité même du doute, de la satire, de la provocation intellectuelle.
Hadi Matar n’a pas poignardé un homme pour ce qu’il était : il l’a frappé pour ce qu’il représentait. Et c’est là toute la tragédie : dans une époque saturée de récits identitaires et de certitudes totalisantes, la simple existence d’une voix discordante devient insupportable pour certains.
Un jugement au nom du droit, mais aussi de la culture
En condamnant Matar à 25 ans de réclusion, la justice américaine rappelle que la violence religieuse, même lorsqu’elle se pare des oripeaux du sacrifice, demeure un crime, non un acte politique. Mais cette condamnation ne referme pas la blessure. Rushdie, désormais borgne, a perdu une partie de sa vision, mais n’a pas renoncé à écrire. Son autobiographie, Le Couteau, publiée récemment, retrace avec une acuité déchirante les secondes suspendues de l’attaque, mais aussi la lente reconquête du corps, du langage, du courage.
La fragilité des libertés occidentales
Ce procès, au-delà de sa dimension judiciaire, rappelle que la liberté d’expression en Occident n’est pas un acquis statique, mais un équilibre fragile, constamment mis à l’épreuve. Dans un monde où les régimes autoritaires progressent, où les réseaux sociaux radicalisent les opinions, où la sensibilité devient parfois prétexte à la censure, l’affaire Rushdie demeure un signal d’alarme.
Et pourtant, l’écrivain n’a jamais cédé au pathos. Il persiste à croire que l’écriture demeure un geste de résistance. Face à la haine, la phrase, même vacillante, reste un rempart