On les accuse de tous les maux : dumping social, opacité fiscale, pillage algorithmique des tendances, pollution massive et exploitation ouvrière. Et pourtant, ils prospèrent. Shein, Temu, AliExpress : ces plateformes chinoises de commerce en ligne connaissent un succès fulgurant auprès des consommateurs européens. Non pas malgré les polémiques, mais parfois en conscience, et en dépit d’elles.
Le consommateur post-Covid, frappé par l’inflation, usé par les fins de mois difficiles, ne vit pas dans les colonnes des tribunes indignées. Il vit dans une économie du compromis. Face à un t-shirt à 3 euros ou un mixeur à 12 euros livrés en une semaine, le soupçon éthique s’efface. Il reste le prix. Brut. Définitif. Indiscutable.
La revanche de l’offre chinoise
Il serait trop simple de qualifier ce succès de victoire du “low-cost” sur la morale. Car le modèle de ces géants chinois n’est pas simplement bon marché. Il est ultra-adapté, intuitif, fluide, et souvent plus performant que les offres européennes traditionnelles. Les plateformes maîtrisent les codes culturels des générations Z et alpha, elles savent capturer les tendances sur TikTok, gamifient l’acte d’achat, et brouillent les frontières entre e-commerce, divertissement et addiction légère.
Leur réussite est aussi celle de la Chine entrepreneuriale, souple, réactive, infiltrée dans les moindres recoins des économies occidentales. Là où l’Europe réglemente, ces plateformes exécutent. Là où l’Occident prêche la sobriété, elles offrent l’abondance algorithmique.
Un arbitrage de survie
Pour beaucoup de jeunes, de familles modestes, d’étudiants, Temu ou Shein ne sont pas des choix enthousiastes mais des arbitrages contraints. La fast fashion n’est pas une préférence mais une soupape. Une alternative par défaut. “Je sais que ce n’est pas éthique, mais je n’ai pas les moyens de faire autrement” : ce discours revient en boucle dans les enquêtes de terrain. Ce n’est pas un aveuglement, c’est une lucidité fatiguée.
Et c’est peut-être cela que les grandes marques occidentales, les institutions européennes et les chantres du “consommer responsable” n’ont pas encore voulu entendre : on ne fait pas de choix éclairés dans l’urgence sociale. On achète ce qu’on peut, comme on peut, sans attendre que le système change pour nous. Et souvent, ce système, ce sont les apps chinoises qui l’ont redessiné.
Une défaite des modèles occidentaux
Le succès de Temu ou Shein est aussi une forme d’échec discret des économies européennes. Incapables de proposer des alternatives accessibles, durables et désirables, elles laissent le terrain libre à une offre hégémonique qui répond aux besoins sans s’embarrasser de morale. L’éthique, aujourd’hui, est devenue un luxe de classe moyenne supérieure. Les autres achètent.
Acheter sur Temu, ce n’est pas trahir l’Europe. C’est vivre dans son réel. Ce réel où les convictions se heurtent au découvert bancaire, où la géopolitique s’efface derrière un panier moyen à 25 euros. La Chine n’a pas conquis l’Occident par idéologie. Elle l’a fait par pragmatisme et livraison gratuite.