Ils s’appellent Amira, Houssam, ou encore Tarek. Ils ont fui Alep ou Homs il y a dix ans, enfants hagards ou jeunes parents sans repères, dans la cohue des camps improvisés du sud de la Turquie. Aujourd’hui, ils font la route inverse. Depuis décembre 2024, plus de 1,2 million de Syriens ont quitté la Turquie pour rentrer au pays. Non plus dans l’exode, mais dans une forme de retour – souvent prudent, toujours chargé d’émotion.
Une page historique se tourne
La chute du régime de Bachar el-Assad, intervenue à la surprise générale à l’automne 2024, a bouleversé l’équation régionale. Après plus de treize ans de guerre, d’exode et de répression, la Syrie entame, lentement, un nouveau chapitre. Le calme relatif observé dans les grandes villes, la mise en place d’un gouvernement de transition et l’amorce timide d’un processus de réconciliation ont redonné espoir à une diaspora usée par l’errance.
« C’est la première fois depuis longtemps que j’ose croire à demain », confie Rania, 34 ans, ancienne professeure d’histoire à Damas, réfugiée à Gaziantep depuis 2016. Elle a repris le chemin de la Syrie avec ses deux enfants et un sac à moitié vide : « On m’a volé ma vie une fois, je n’ai plus peur de la perdre. »
La Turquie se déleste, la Syrie réaccueille
Plus de trois millions de Syriens avaient trouvé refuge en Turquie depuis 2011. Le pays, à l’époque de l’accueil, est aujourd’hui celui de la lassitude. Fatiguée par le coût social et politique de cet exil prolongé, Ankara a discrètement facilité les retours : procédures allégées, aides logistiques, couloirs humanitaires organisés avec le Croissant-Rouge. Si le gouvernement turc s’en défend, ce reflux migratoire arrange ses affaires intérieures, à l’heure où le nationalisme gagne du terrain.
Du côté syrien, les autorités de transition, soutenues par une coalition bigarrée d’intérêts régionaux et d’ONG occidentales, s’efforcent d’organiser l’accueil. Des dispositifs temporaires, des logements, et même des programmes de retour à l’emploi voient le jour. Mais la réalité reste âpre : infrastructures détruites, services publics à l’agonie, tensions communautaires sourdes. Le pays est stable, mais fragile.
Un retour existentiel plus que matériel
Pour beaucoup, rentrer n’est pas seulement un acte politique, c’est une quête intime. Il s’agit moins de retrouver une maison – souvent détruite ou occupée – que de réancrer un corps dans une terre. « J’avais besoin de revoir l’odeur du jasmin à Damas, même si tout est en ruine », murmure Fadi, architecte, revenu seul après douze ans à Istanbul. Il vit désormais dans une pièce d’amis, dans un quartier reconstruit à la hâte. Mais il dort, dit-il, « chez lui ».
Une mémoire morcelée, un avenir à réinventer
Ce grand retour, qui pourrait s’amplifier dans les mois à venir, pose des défis immenses. Comment reconstruire un pays avec ceux qui sont partis et ceux qui sont restés, parfois dans des camps, parfois dans des compromissions ? Que faire de la mémoire du régime, des douleurs accumulées, des silences nécessaires ?
Il faudra du temps, des compromis, et peut-être, une nouvelle génération de Syriens qui n’a pas connu la guerre, pour panser une terre en miettes. Mais en 2025, pour la première fois depuis longtemps, le mot « retour » a changé de tonalité. Ce n’est plus un rêve douloureux, mais une réalité en marche.
Avez-vous trouvé cet article instructif ? Abonnez-vous à la newsletter de notre média EurasiaFocus pour ne rien manquer et recevoir des informations exclusives réservées à nos abonnés : https://bit.ly/3HPHzN6
Did you find this article insightful? Subscribe to the EurasiaFocus newsletter so you never miss out and get access to exclusive insights reserved for our subscribers: https://bit.ly/3HPHzN6