Vingt ans ont passé, et la rue Saint-Guillaume n’a rien perdu de sa ferveur politique — elle l’a, au contraire, perfectionnée. Le Cevipof vient de livrer une enquête fouillée sur le profil sociopolitique des étudiants de Sciences Po entre 2002 et 2022. Résultat : la gauche s’y porte mieux que jamais.
En 2002, déjà 57 % des élèves se réclamaient de la gauche. En 2022, ils sont 71 %. Une poussée idéologique spectaculaire, qui contraste avec l’ensemble de leur génération, bien plus partagée (41 % à gauche, 38 % à droite). Autrement dit, les futurs décideurs économiques, politiques et culturels de la France continuent de penser comme leurs aînés soixante-huitards : le monde va mal, mais il reste perfectible — à condition de le « réinventer » avec des mots bien choisis et des tribunes sur Instagram.
Cette politisation est partout. Neuf étudiants sur dix se disent passionnés par la politique, et plus d’un sur deux s’y intéresse « beaucoup ». À titre de comparaison, les jeunes Français de leur âge sont quatre fois moins nombreux à s’en soucier. Mais attention : cet engagement ne s’exprime pas forcément dans les urnes, ni même dans la confiance envers le système. Quatre étudiants sur dix jugent que la démocratie fonctionne mal, et un sur deux estime les responsables politiques corrompus. L’époque veut qu’on manifeste plus qu’on vote, qu’on signe des pétitions plus qu’on adhère.
Pourtant, leur défiance n’est pas synonyme de rupture. Ces jeunes gens protestent à l’intérieur du système, non contre lui. Ils lisent Judith Butler et Greta Thunberg, mais croient encore à la réforme — pas à la révolution. D’ailleurs, leurs figures d’admiration le disent bien : Alexandria Ocasio-Cortez, Jacinda Ardern, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon trônent en haut du palmarès. Même Zelensky, figure tragique et héroïque, trouve grâce à leurs yeux.
La féminisation de l’école, elle, accompagne cette mutation. Les étudiantes sont désormais plus politisées que jamais : 48 % d’entre elles affichent un intérêt fort pour la politique, contre 32 % il y a vingt ans. C’est sans doute la traduction d’une époque où l’engagement passe aussi par la prise de parole — souvent féminine, souvent collective, toujours connectée.
Quant aux causes, elles sont à l’image de l’époque : climatiques, égalitaires, inclusives. Les étudiants se mobilisent contre les inégalités, contre le réchauffement, contre « le vieux monde » en somme — tout en s’y préparant, paradoxalement, à y entrer par la grande porte.
Car au fond, Sciences Po demeure fidèle à sa mission d’origine : former les élites. Simplement, les élites ont changé de vocabulaire. Jadis formés à gouverner, ces jeunes s’apprêtent à « sensibiliser », « transformer », « débattre ». Leurs aînés lisaient Tocqueville ; eux préfèrent les posts d’Ocasio-Cortez. Mais la conviction reste la même : la politique, c’est le monde, et le monde, c’est eux.
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