Le vin rouge ? Avec modération. Le beurre ? En petites touches. Le sucre ? À bannir. La viande ? À réduire. Le pain blanc ? Un poison. Le café ? Deux tasses maximum. Et l’alcool ? Idéalement, aucun. Bienvenue dans l’ère de la tempérance normative, où vivre longtemps semble devoir passer par une existence lisse, désaturée, presque monastique. Mais au nom de la santé, faut-il vraiment renoncer à toute forme de plaisir ? Ou, pour reprendre Montaigne, « qui vit sans folie n’est pas si sage » ?
L’Europe, en particulier sa moitié nord-occidentale, s’est engagée dans une forme d’hygiénisme éclairé. Des politiques publiques encouragent la réduction de la consommation d’alcool, les applications traquent les calories, les supermarchés proposent des yaourts à 0 %, des fromages sans gras et des sodas sans sucre. Le corps devient projet, et la santé, une responsabilité morale. L’assiette, désormais, se lit comme une déclaration politique.
Et pourtant, il flotte parfois comme un parfum de tristesse autour de cette nouvelle sagesse nutritionnelle. Car si la prévention sauve des vies, elle éteint aussi certaines joies. La convivialité d’un apéritif prolongé, la générosité d’une assiette de pâtes crémeuses, le charme d’un dîner trop arrosé – tous ces plaisirs deviennent suspects. Manger gras, sucré ou trop salé, boire un verre de trop, prolonger une nuit… sont devenus des transgressions. La gourmandise, ce péché mineur autrefois pardonné par le plaisir, est aujourd’hui requalifiée en faute sanitaire.
La France, pourtant, résiste encore un peu. Ici, le vin est une culture, le fromage une géographie, et la cuisine une forme d’art de vivre. Mais même Paris devient sobre. Les jeunes générations boivent moins, comptent plus, culpabilisent vite. À Berlin, on ne fume plus ; à Stockholm, on pèse les lentilles ; à Amsterdam, on fait du yoga avant le brunch végane. Santé publique ou ascèse molle ?
Le paradoxe est cruel : jamais l’Europe n’a été aussi attentive à sa santé, et pourtant jamais la fatigue mentale, les troubles anxieux et la solitude n’y ont été si répandus. Manger parfaitement ne remplace pas la joie. Et refuser toute folie finit peut-être par rendre malade autrement.
Alors faut-il se priver ? Oui, raisonnablement. Mais se souvenir que la sagesse n’est pas l’absence de désordre : elle en est la maîtrise. Et qu’un verre de vin partagé, un dîner trop gras en famille ou un gâteau déraisonnable au bord d’une journée grise peuvent, à leur manière, sauver plus que des bilans sanguins.
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